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rapprochement inattendu, Aristote y traite de l’exemple, de ses formes diverses, de l’usage que l’orateur en doit faire ; il distingue les exemples proprement dits, les paraboles, les fables, et comme type de la fable il cite l’apologue dont s’est servi Ésope un jour qu’il plaidait la cause d’un démagogue auprès des citoyens de Samos. Un renard, voulant traverser un torrent, tombe au fond d’un ravin. Le voilà étendu sanglant sur le sol, et des nuées de mouches se sont attachées à ses flancs. Survient un hérisson qui, touché de son sort, lui propose de le délivrer de ces hôtesses dévorantes. « — Oh ! garde-t’en bien, dit le renard. — Pourquoi ? — Parce que celles-ci sont déjà pleines de moi et ne tirent plus que peu de sang. Si tu les arraches de mes blessures, il en viendra d’autres tout affamées qui me suceront à mort. » — Le latin traduit avec force : Quoniam hi jam mei pleni sunt et parum sanguinis ducunt ; quod si hos avulseris, venient alii famelici, qui quantum mihi reliquum sanguinis est exsugent. — « Et vous aussi, gens de Samos, ajoutait le sage Phrygien cité par Aristote, considérez que cet homme ne peut plus vous nuire, puisqu’il s’est enrichi. Si vous le faites périr, il en viendra d’autres qui achèveront de vous piller. » C’est aussi, d’après un récit de Flavius Josèphe en ses Antiquités judaïques, ce que répondait l’empereur Tibère à certaine députation qui se plaignait d’un proconsul : venient alii famelici. Enfin c’est ce que La Fontaine exprimait dans la fable XIII du livre XII publié en 1694, quatre ans après la comédie de Boursault :

Je les vais de mes dards enfiler par centaines,
Voisin renard, dit-il, et terminer tes peines.
Garde-t’en bien, dit l’autre : ami, ne le fais pas.
Laisse-les, je te prie, achever leur repas.
Ces animaux sont soûls ; une troupe nouvelle
Viendrait fondre sur moi plus âpre et plus cruelle.
Nous ne trouvons que trop de mangeurs ici-bas ;
Ceux-ci sont courtisans, ceux-là sont magistrats.
Aristote appliquait cet apologue aux hommes.
Les exemples en sont communs,
Surtout au pays où nous sommes.
Plus telles gens sont pleins, moins ils sont importuns.


Ici, à coup sûr, on reconnaît la griffe du maître, toute cette fin est d’une amère et terrible éloquence ; mais la scène de Boursault garde encore son prix. Il vaudrait mieux sans doute que les premiers faméliques n’eussent pas tourmenté la blessure : couches anciennes ou nouvelles couches, tous les dévorans sont odieux ; mais il ne s’agit que d’un expédient terre à terre et d’une philosophie au jour le jour ; une situation mauvaise étant donnée, il s’agit de s’en tirer au meilleur compte. Ce qui nous choque un peu dans ce bon sens trop positif, il faut le reprocher à la tradition tout entière, au