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si bien prise et qui lui sied si parfaitement. Ésope lui débite alors la fable du renard et du corbeau :

Un oiseau laid (c’est moi) qu’on nomme le corbeau
Tenant en son bec un fromage,
Un renard fin (c’est vous), pour lui tendre un panneau,
Le salue humblement et lui tient ce langage…

Seulement, c’est l’oiseau laid cette fois qui déjoue les ruses du fourbe, et le renard est contraint d’avouer que tout flatteur « est un monstre effroyable. »

Eh ! pourquoi l’es-tu donc, adulateur au diable ?
Pourquoi, dis ?

— « Pour faire mon chemin, répond le cynique. Les grands ne souffrent près d’eux que des louangeurs ; il faut bien les servir à souhait. C’est le vice des grands qui fait la bassesse des petits. — Non, réplique le sage. C’est la bassesse des petits qui fait le vice des grands. Sans ces nuées de flatteurs, les grands s’accoutumeraient à se voir tels qu’ils sont. Ils s’amenderaient, travailleraient, se rendraient utiles à la chose publique. Que de forces perdues par votre faute ! Vous êtes les corrupteurs, les empoisonneurs. » — Je résume tout un dialogue où éclate l’inspiration généreuse et patriotique de Boursault. Ces accens-là ne sont pas rares dans notre vieille France, et cependant il y a toujours plaisir à les saluer au passage. Je sais bien que Boursault, lorsqu’il inflige de telles leçons à la noblesse de son temps, particulièrement à la noblesse de province, parle au nom du roi, au nom de l’intérêt du roi, mais le roi, dans la philosophie morale du poète (on le verra mieux tout à l’heure), c’est avant tout la personnification de la patrie, le lien vivant de la communauté. Il n’y a rien là qui puisse diminuer le mérite moral du poète ; son courage lui fait grand honneur. — La scène devait se terminer par un avertissement à l’artisan de faux et de mensonges :

Moi, qui ne flatte point et qui hais les flatteurs,
J’ai, pour vous obliger, un service à vous rendre.
— Oh !… — Je vous avertis que vous vous ferez pendre.
— Moi, monsieur ? — Oui, vous-même, en propre original.
— J’oblige tout le monde et ne fois point de mal.
— Ces blasons frauduleux ajoutés à des vitres
Contre les droits du roi sont autant de faux titres ;
Et l’intervalle est bref de faussaire à pendu.

Dans cette scène si vive et si honnête, on a remarqué certainement l’idée singulière qui est venue à l’auteur d’introduire sous forme nouvelle la fable du Renard et du Corbeau. C’était là un des