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constance de la jeune fille. Ses colères lui font plaisir. Loin de e fâcher il sourit, quand Euphrosine lui lance cette invective :

Et moi, qui vous connais pour un fourbe achevé,
Moi, qui de votre fraude ai sujet de me plaindre,
Moi, qui ne sais qu’aimer et qui ne sais point feindre,
Je vous déclare ici qu’Agénor a ma foi,
Que je suis toute à lui comme il est tout à moi,
Que toute la grandeur où le roi vous appelle
N’aura pas le pouvoir de me rendre infidèle,
Et que, si de mon père on aigrit le courroux,
J’épouserai la mort plus volontiers que vous.

Est-il besoin de dire que la comédie se termine par le mariage d’Euphrosine et d’Agénor sous les auspices du sage Esope ?

Telle est cette œuvre agréable et courageuse, œuvre d’un homme d’esprit et d’un homme de cœur. Le succès, un peu contesté d’abord à la scène, car l’intérêt de l’action y était trop peu de chose, ne tarda guère à prendre un grand essor. Quant au succès de lecture, il ne fut pas douteux un instant et franchit bientôt nos frontières. En ces dernières années du XVIIe siècle, Boursault eut l’honneur de représenter l’esprit français aux yeux des lettrés de l’Europe. La comédie d’Ésope à la ville fut traduite en anglais, en allemand, en italien, en hollandais. On y aimait surtout l’élévation naturelle des sentimens, ce que j’appelle une certaine audace naïve de droiture et de loyauté.

C’est par là aussi que Boursault s’est acquis de bonne heure l’amitié des deux Corneille et qu’il l’a conservée toute sa vie. Après le succès d’Ésope à la ville, Thomas Corneille lui dit un jour : « Pourquoi ne pas vous présenter à l’Académie française ? — Y songez-vous ? répondait modestement le poète ; que ferait l’Académie d’un sujet illettré qui ne sait ni le grec ni le latin ? — et Thomas Corneille répliquait vertement : — Il n’est pas question d’une Académie grecque ou latine, il est question de l’Académie française. Eh ! qui sait mieux le français que vous ? » Voilà bien l’exagération d’un ami : « Qui sait mieux le français que vous ? » Parler ainsi à Boursault, c’est parler sans mesure, et l’historien littéraire ne peut que mentionner la chose en souriant ; mais Thomas Corneille aurait pu dire sans crainte d’être démenti : Qui mieux que vous, dans le déclin de la comédie et depuis la mort de Molière, a maintenu au théâtre une certaine hauteur d’accent unie à la gaîté ? qui a eu mieux que vous le sentiment de la grâce honnête ?


III

« Il est temps que je te dise ingénument comment la comédie d’Ésope a été reçue. C’est une pièce d’un caractère si nouveau