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— Mais elle a des parens, des amis ?

— Non ; cependant on prétend que la famille de sa mère habitait Mérida il y a bien, bien longtemps. Elle a été élevée loin d’ici. On ajoute qu’orpheline depuis quelques années, elle aurait acheté au gouvernement mexicain les terres d’Uxmal, d’autres disent qu’elle en a hérité d’une parente de sa mère. Quoi qu’il en soit, elle est généreuse et me donne largement pour les pauvres, sans compter ce qu’elle a dépensé à la casa del gobernador, où elle a fait faire de grands travaux.

Le curé Carillo achevait de dîner avec les jeunes gens. Dona Micaëla s’était surpassée pour ses hôtes. Un flacon de vieux porto avait délié la langue du bon prêtre, et tous trois, au dessert, fumant d’excellens puros, passaient la soirée à causer. On dut pourtant se séparer d’assez bonne heure, le curé alléguant avec raison les fatigues que lui tenait en réserve la journée du lendemain. Restés seuls, les voyageurs, peu disposés au repos, tentèrent vainement de faire parler dona Micaëla et d’obtenir d’elle quelques renseignemens sur la belle Mercedes et les ruines d’Uxmal. Très loquace d’ordinaire, l’hôtelière ne l’était pas sur ce sujet, et, soit qu’elle ne sût rien ou ne voulût rien dire, elle embrouilla si bien le peu de mots anglais et espagnols qui faisaient le fond de son répertoire qu’ils renoncèrent promptement à leur entreprise.

— Attendons à demain, dit flegmatiquement George Willis ; je me méfie un peu de ces réputations locales de beauté. J’ai trop voyagé pour n’avoir pas remarqué que les gens ont le crâne et les yeux faits différemment. Quant aux ruines, c’est une autre affaire, et j’en aurai le cœur net. J’ai visité celles d’Europe, d’Asie et d’Afrique ; les États-Unis n’en ont pas et pour cause, et on m’a si mal enseigné la géographie que je ne savais pas même le nom d’Uxmal.

— A en juger par ce que nous dit le curé, ces ruines valent bien une visite ; mais il ne faut pas qu’elles nous fassent négliger le but de notre voyage.

— Cousin Fernand, ne soyons pas trop impatiens. Voici douze ans que mes terres attendent la visite de leur propriétaire. Quand elles attendraient encore quelques semaines, cela n’a que peu d’importance. Nous sommes à Mérida, bien approvisionnés de tout ce qui est nécessaire à l’existence. La ville me paraît originale, le curé me plaît, dona Micaëla fait les tortillas en perfection, la saison des pluies est finie, il y a ici près des ruines que l’on dit intéressantes, une jeune fille mystérieuse que l’on dit belle ; rien ne nous presse, personne ne nous attend nulle part... ne brusquons pas la vie.

— Soit, seulement je croyais que ton intention était de passer une partie de l’hiver en Europe.