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on reconnaissait pour un marin, suivait avec attention tous les mouvemens de la jeune fille, dont les yeux s’arrêtèrent un instant sur lui. Elle ignorait évidemment qui il était ; mais lui parut la reconnaître, et son visage trahit une expression de colère et de mépris. Sans affectation il se dirigea vers un angle de la salle d’où il pouvait tout observer. Dona Mercedes avait pris place et semblait plutôt s’acquitter d’un des devoirs de son rang que se livrer à un des plaisirs de son âge. Quant à don Rodriguez debout en face d’elle, il était heureux et fier des regards d’admiration attachés sur sa compagne. La musique commença sur un rythme lent et cadencé. Tour à tour il s’avançait et s’éloignait en suivant la mesure, cherchant par un mouvement agile à lui enlever une rose qu’elle tenait à la main et qu’elle retirait vivement. Ses efforts étaient infructueux. Le rythme s’accentuait et devenait plus rapide. Dans la danse des toros, classique au Yucatan, le danseur doit conquérir la fleur dans un temps donné et sans toucher la tunique ou la main de la danseuse. A un moment indiqué par un point d’orgue, s’il n’a pas réussi, la jeune fille laisse tomber la rose ; il doit s’en saisir avant qu’elle ne touche terre.

Au signal donné par l’orchestre, Mercedes leva la main. La large manche de sa tunique glissa doucement et laissa entrevoir quelques instans un bras charmant. Elle fit le geste de rejeter la fleur en arrière ; sa taille gracieuse se cambra légèrement, dessinant une ligne pure et harmonieuse, puis au moment où son danseur s’élançait, elle ramena rapidement son bras au-dessus de sa tête, et la rose, frôlant les plis de sa tunique, vint tomber à ses pieds. Don Rodriguez n’avait pas prévu sa ruse. Quelques grains de poussière attachés aux feuilles humides et fraîches attestaient sa défaite. Il remit la fleur à Mercedes. Suivant l’usage, elle se tourna vers l’alcade et le curé : — Pour les pauvres. — Cela voulait dire que la rose et le privilège d’être pour le reste de la fête le cavalier de dona Mercedes appartiendraient à celui qui en donnerait le prix le plus élevé. D’ordinaire on ne surenchérit pas, et le danseur maladroit répare son échec moyennant quelques réaux ou quelques piastres, suivant sa position de fortune.

Don Rodriguez tenait évidemment à ses droits. S’inclinant respectueusement devant Mercedes, il déposa à ses pieds une once d’or. Cette munificence inusitée fut saluée par d’unanimes applaudissemens. Quelques piécettes vinrent grossir le don du jeune homme que nul des assistans d’ailleurs n’entendait ni ne pouvait surpasser, lorsqu’une large pièce d’or de vingt dollars tomba auprès de dona Mercedes. Un étonnement profond se manifesta parmi les assistans, et tous les yeux se dirigèrent vers l’estrade. C’était en effet George Willis qui, sans le savoir, infligeait à don Rodriguez