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soleil sous les grandes ombrelles rouges seules en usage au Yucatan. Les vestes courtes des jeunes gens, les ceintures de soie aux couleurs voyantes et à franges riches qui serraient leur taille, leurs sombreros ornés de plumes éclatantes, les robes blanches de leurs compagnes, cet air de fête, ces rires joyeux, tout justifiait et au-delà les prévisions du curé Carillo, qui n’était certes pas le moins affairé ni le moins gai. Il avait installé les deux voyageurs sur l’estrade et de temps en temps leur adressait un coup d’œil expressif quand une mestiza plus jolie que les autres faisait son entrée dans la salle.

La danse allait commencer lorsqu’au dehors un mouvement de la foule annonça l’arrivée d’un personnage important. Les rangs s’ouvraient devant une jeune fille que n’accompagnait aucun cavalier, mais que suivait une escorte de femmes indiennes qui s’arrêtèrent sur le seuil. Tous les regards se tournèrent de ce côté. Dona Mercedes, car c’était elle, traversa la salle et se dirigea vers l’estrade, où un fauteuil lui était réservé entre l’alcade et le curé, qui se levèrent à son approche. Grande et bien proportionnée, dona Mercedes paraissait avoir vingt ans. Elle était certainement d’une rare beauté. Les yeux bleus et profonds, la bouche d’un dessin pur et correct, le menton d’un modelé ferme, le front intelligent, les sourcils décrivant une courbe gracieuse composaient un ensemble digne d’un peintre et auquel une nuance de mélancolie ajoutait un charme indéfinissable. Quand elle parlait ou souriait, deux fossettes se dessinaient sur ses joues, et le coin de sa bouche, légèrement relevé, laissait entrevoir des dents éblouissantes. Elle portait un costume de mestiza qui lui seyait à ravir. Ses cheveux blonds et abondans, tressés en diadème, étaient semés de fleurs blanches. Sa tunique flottante, d’une étoffe soyeuse et blanche aussi, ornée de broderies de soie rouge, se drapait autour d’elle en plis gracieux. Parmi toutes ces jeunes filles, dont beaucoup étaient charmantes, dona Mercedes était reine autant par sa beauté et sa distinction que par le rang que chacun semblait lui assigner.

— Elle est bien belle, murmura Fernand à l’oreille de son cousin.

— Oui... une beauté un peu froide, mais une beauté.

— Tiens, regarde, elle sourit ; la statue s’anime, et la femme est ravissante. J’espère que Carillo nous présentera à elle... Mais voici un cavalier qui se dirige de son côté.

Don Pedro Rodriguez, jeune et riche planteur de Mérida, venait en effet inviter dona Mercedes à ouvrir le bal avec lui. Sur ses instances et celles du curé, elle accepta son offre. La foule fit cercle autour d’eux. Parmi ces spectateurs, tous gens du pays, un étranger de haute taille, qu’à sa démarche autant qu’à son costume