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politique marqué et qui révèlent, dans le général d’armée, le chef de parti. On en jugera par un exemple. Vercingétorix, l’élu de la majorité populaire des états, avait à lutter contre l’opposition du parti aristocratique favorable aux Romains : on épiait ses fautes, on exagérait ses échecs, on s’efforçait, par des propos malveillans, d’ébranler le moral des confédérés, si bien qu’un jour, pendant le siège d’Avaricum, il fut obligé de se justifier devant une foule soupçonneuse, qui déjà se croyait trahie. Il expliqua ses opérations, protesta de son dévoûment, offrit sa démission ; puis, voulant frapper un grand coup, il fit avancer de prétendus soldats romains prisonniers qui confirmèrent ses déclarations par un faux témoignage. Quand il vit se produire l’effet qu’il désirait : « Voilà, s’écria-t-il, les services que je vous ai rendus ; grâce à moi, sans verser une goutte de sang, vous avez réduit aux dernières extrémités une formidable armée si longtemps victorieuse ; et c’est moi que vous accusez de trahison ! » Ce mouvement oratoire, habilement préparé, obtint un plein succès. Les Gaulois, poussant des cris d’enthousiasme, entre-choquant leurs armes en signe d’approbation, exaltèrent les talens du général, la sagesse de son plan, et lui jurèrent une obéissance absolue. Un peu d’éloquence et beaucoup d’artifice avaient raffermi le crédit de Vercingétorix et sauvé sa tête. Avec un savoir-faire digne d’un homme politique, cet homme de guerre venait de gagner une bataille de tribune.

Un autre discours, fort remarquable, fut prononcé au conseil de guerre dans Alise assiégée : il s’agissait de décider si la place, à bout de ressources, capitulerait, ou si l’on attendrait, malgré une horrible famine, le secours promis. Un chef arverne, Critognatus, soutint qu’il fallait tout endurer plutôt que de se rendre. César, qui juge trop sévèrement cet avis héroïque en le taxant de cruauté, a cependant cité le discours en entier et ne s’est pas borné, comme d’habitude, à le résumer. Supposons véritable, au moins pour l’ensemble, le texte contenu dans les Commentaires et rapporté par un ennemi : ce discours gaulois ne le cède en rien aux modèles d’éloquence militaire que les anciens nous ont laissés. Les sentimens généreux, les raisons pratiques, les souvenirs du passé, tous les moyens d’émouvoir et de convaincre s’y produisent en bon ordre et se prêtent un mutuel appui : on croit entendre un orateur expérimenté, maître de son sujet, le disposant avec méthode et sachant donner à ses pensées une forme nerveuse et concise. Ce qui nous frappe encore, c’est la sagacité, l’esprit politique de l’orateur barbare. Il a compris que la Gaule est en présence d’un ennemi exceptionnel, et que la domination romaine, savamment organisée, prétend à une durée sans fin. « Fut-il jamais une guerre pareille à