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Toute cette population de colons et de soldats, dispersée au milieu des bois, s’était endormie dans une sécurité complète : dur a été le réveil ! Tous, surpris dans une quiétude parfaite, ont été égorgés. » La raison de cette « quiétude parfaite » doit être sans doute cherchée dans ce fait que depuis 1868 aucune révolte sérieuse ne s’était produite en Nouvelle-Calédonie, les plus turbulens guerriers des tribus ayant été tués dans la dernière guerre que nous leur fîmes, ou achetés par nous. Titema, l’un des chefs ennemis à conscience vénale, était même venu fixer sa résidence à Nouméa. Tout le monde a pu le voir, il y a peu d’années encore, coiffé d’un chapeau de général à long plumet, vêtu d’un habit brodé, les épaules surchargées de grosses épaulettes, buvant dans les débits de boissons du chef-lieu avec quiconque voulait se donner l’émotion de trinquer avec un cannibale.

Avant la pacification générale de l’île qui s’obtint en 1868, les soulèvemens des Canaques furent très fréquens. En seize ans, soixante-douze blancs furent tués en détail et presque tous mangés. On voit combien la dernière insurrection est grave, puisque le chiffre des morts a dépassé en très peu de jours celui de deux cents. En 1859, c’est-à-dire six ans après la prise de possession officielle de la Nouvelle-Calédonie, Nouméa n’était qu’un misérable camp ; il en serait de même aujourd’hui, si l’empire n’avait décidé de transporter hors de France les condamnés aux travaux forcés. Un vieux colon de Nouméa nous a raconté qu’il fallait y exercer continuellement une active surveillance, la ville n’étant alors qu’un assemblage de misérables huttes en bois, où s’abritaient les militaires et quelques pauvres immigrans. Ces constructions, recouvertes en paillottes, étaient agglomérées sur un petit espace, car il fallait toujours redouter les attaques des indigènes rôdant aux alentours. Le Canaque, rampant dans la jungle, approchait comme une bête fauve de la ville naissante, et la mort attendait quiconque s’en éloignait sans armes ; un seul coup de hache en pierre polie assommait l’imprudent. Si le cadavre n’avait pas été enlevé pour servir de régal aux guerriers, — « seule nourriture des héros, » disent les Néo-Calédoniens, — on le trouvait pendu à quelque branche d’arbre. Parfois, à l’heure du crépuscule, retentissait un coup de feu : c’était un Français qui tombait frappé d’une balle pendant qu’il bivouaquait auprès d’un bûcher en flammes. La nuit, les hautes herbes ou les palétuviers empêchaient de découvrir les traces de l’assassin. On sait que les Arabes ont pratiqué longtemps, contre nos soldats isolés, ce genre de guet-apens. L’audace des Canaques dépassait dans les premiers jours de la conquête tout ce qu’on peut s’imaginer. Pendant une nuit sombre, ils dévalisèrent une baraque où étaient