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dans laquelle se trouvait le gouvernement colonial au moment de la révolte des 2 et 3 juillet. Tout était perdu, si les transportés, faisant irruption dans les villes, eussent uni un seul instant leur cause à celle des Canaques. Heureusement, ce désastre n’a pu se produire : une active et sévère surveillance exercée sur nos pénitenciers nous en préservera toujours. Quant aux Canaques, cinq cents hommes bien armés suffiraient à les contenir, si les forçats libérés, dont le nombre va toujours en augmentant, n’exigeaient une grande surveillance et n’enlevaient aux malheureux indigènes leurs places au soleil, leurs terres, et jusqu’aux hideuses popinées, leurs femmes. Pourquoi la conquête plus vaste de la Cochinchine et autrement peuplée que la Nouvelle-Calédonie ne nous cause-t-elle aucune inquiétude ? Pourquoi une poignée de soldats d’infanterie de marine suffit-elle et suffira-t-elle toujours à sa pacification ? Parce qu’en Cochinchine il n’y a ni libérés ni absence de femmes.

Lorsque la révolte des Canaques a été connue à Paris, plusieurs personnes ont manifesté la crainte que la sécurité dont on jouit à Saigon ne cachât, comme en Nouvelle-Calédonie, de sinistres surprises, des révoltes, l’assassinat des colons, le pillage et l’incendie des plantations. Heureusement tout porte à croire qu’une révolte semblable à celle de Nouméa ne s’y produira pas. Il n’y a en effet aucune comparaison à établir entre les deux colonies.

En raison des conditions climatologiques qui sont détestables, on ne constate la présence dans notre possession de l’extrême Orient que d’un nombre excessivement restreint de colons français. Ceux qui s’y trouvent ne sont pas tenus d’y résider jusqu’à la mort, comme des bannis, et s’ils font fortune, il leur est du moins permis de venir un jour en France. Les seuls colons sérieux qu’on y connaisse sont les colons chinois, et ceux-ci, en cas d’insurrection des Annamites, deviendraient forcément nos ardens auxiliaires, car c’est grâce à la protection que nous leur accordons qu’ils acquièrent de la considération et des richesses.

Nous avons très peu dépouillé nos sujets asiatiques de leur territoire, il y en a à donner gratuitement à qui en désire, et à Saigon pas un Européen ne songe à solliciter du gouvernement des terres et des concessions de mines comme en Nouvelle-Calédonie. Les demandes des concessionnaires sont si nombreuses dans cette dernière possession qu’elles sont bien près de devenir abusives. Elles s’étendent sur les territoires des tribus canaques sans la moindre circonspection, absolument comme le libéré Chêne, qui a payé de la vie ses caprices amoureux, répudiait ou choisissait sans gêne ses femmes. Sur presque toute l’étendue de notre conquête asiatique, l’Annamite vit en continuel contact avec des employés français et