les soldats de quelque poste détaché. Il ne voit pas en eux les futurs possesseurs de ses rizières ou de ses forêts. Il nomme son maire à l’élection ainsi que les autres autorités municipales de sa congrégation, nom par lequel dans ces régions on désigne les communes. Le caractère de l’Annamite est doux, sociable, facile à contenter ; il ne vit pas, comme le Néo-Calédonien, dans des montagnes aux pitons élevés, mais en plaine, au milieu de ces immenses champs de riz, qui font de la Cochinchine française le grenier de l’extrême Orient. Sous la paternelle juridiction de nos lois, il en est arrivé, sinon à nous aimer d’un amour tendre, du moins à se trouver heureux de notre justice, content de n’être plus soumis aux caprices des mandarins, ainsi qu’à ceux d’un tyran couronné qui d’un geste pouvait faire tomber sa tête. Les femmes annamites sont aussi nombreuses que les hommes ; elles ne sont pas recherchées à outrance, ainsi que cela se voit dans les contrées où les femmes sont rares. On n’a jamais vu un Annamite venir se plaindre au gouverneur qu’un Français lui ait enlevé sa femme, une de ses filles, une de ses sœurs. A court d’argent, à la suite d’une perte au jeu, il serait enchanté qu’un de nos compatriotes voulût bien acheter l’une d’elles. Chacun sait que les femmes blanches manquent en Nouvelle-Calédonie. Les colons et les libérés, qui ne peuvent à aucun prix s’y procurer une compagne de leur race, se laissent tenter par les charmes des beautés canaques. De leur côté, les popinées, ainsi que celles des Nouvelles-Hébrides, non voisines, ne sont jamais insensibles aux offres qui leur sont faites par des blancs. En faisant briller aux yeux de ces faibles créatures des miroirs et des bijoux en simil r, le forçat libéré, malgré sa rudesse et son aspect peu engageant, est sûr de les conquérir. Ces regrettables-séductions sont certainement une des causes de la colère des guerriers néo-calédoniens et l’un des motifs qui, dans l’avenir, les pousseront à tuer les ravisseurs de leurs Hélènes. — Cet attachement, cette jalousie qu’ils ont de leurs femmes, sont ordinaires dans les archipels du Pacifique. Un capitaine espagnol, en expédition sur une des îles de l’archipel des Soulou, voulant s’emparer des chefs d’un village révolté, mit la main sur toutes les femmes qu’il trouva. Les guerriers, qui avaient pris la fuite, vinrent dès le lendemain se constituer prisonniers.
Il est une autre cause tout aussi sérieuse que celle de l’enlèvement des popinées qui doit forcément nous attirer l’inimitié des Canaques. Pour donner des terres aux colons et aux libérés, il a fallu déposséder les tribus, les faire reculer devant nous et tracer des limites nouvelles à leurs villages, à leurs plantations. De là une irritation naturelle chez ces peuplades, une haine farouche qui