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la parole. Aujourd’hui les circonstances ne sont plus les mêmes, sans doute, l’occasion est passée ! La France, lasse de provisoire, s’est décidée à se fixer dans des institutions nouvelles, œuvre de nécessité et de raison, de telle sorte qu’un changement serait désormais une révolution. Une question assez grave néanmoins, une question de conduite et de direction s’est récemment ravivée et a partagé encore une fois les royalistes jusque dans leur défaite. Un jeune député, un nouveau venu dans la politique, M. le comte Albert de Mun, avec cette bonne grâce d’intrépidité qui n’appartient qu’à un officier de cuirassiers transformé en apôtre, a levé un drapeau sur lequel il a inscrit le mot fatidique de « contre-révolution. » M. de Mun a porté son drapeau dans les congrès catholiques ; il l’a porté il y a quelques jours à peine dans le parlement en défendant le scrutin de Pontivy, qui l’a fait député, contre une invalidation trop visiblement décidée et préméditée. La « contre-révolution, » le règne de Dieu sur la terre, le droit divin de la monarchie opposé au droit humain des institutions libres, la négation de la France moderne, la guerre déclarée au suffrage universel, tout se retrouve dans cette harangue parlementaire plus encore que dans les discours prononcés devant les congrès catholiques. Le programme est complet ! Un homme qui n’a pas servi dans les cuirassiers, mais qui est un politique clairvoyant, M. le comte de Falloux, n’a pas manqué de saisir aussitôt ce qu’il y avait de périlleux dans cette recrudescence de déclamations et d’excentricités retentissantes. Il a cherché dès le premier moment, dans un journal de province, à arrêter au passage ce mot de « contre-révolution, » et depuis il a publié quelques pages d’une éloquence pressante et vive, où il désavoue ces théories d’absolutisme religieux et politique, appelant à son aide l’expérience, le passé, les lumières de la raison, l’enseignement des catastrophes, la puissance irrésistible des choses. O jeu bizarre des partis ! M. de Falloux se trouve être devenu le côté gauche dans le camp royaliste et catholique.

A l’heure qu’il est, entre des opinions si sensiblement différentes, M. le comte de Chambord n’était peut-être pas obligé de se prononcer par un nouveau motu proprio. Il pouvait se taire sans inconvénient pour sa dignité comme pour sa cause, et s’il voulait parler, s’il voulait écrire à M. de Mun, il pouvait se borner à consoler le jeune invalide de sa disgrâce parlementaire en l’engageant à une lutte nouvelle. Il aurait pu même, s’il avait voulu, se faire une arme de cette fureur d’invalidation qui en se prolongeant, en survivant au combat, finit par n’être plus qu’une représaille de parti. M. le comte de Chambord, — c’est une justice à lui rendre, c’est son honneur, c’est aussi sa faiblesse, — M. le comte de Chambord considère comme au-dessous de lui l’art des tactiques habiles ou d’un silence opportun. Il a reconnu ses couleurs dans le drapeau élevé à la tribune de Versailles par le jeune champion des doctrines théocratiques,