Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/710

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il l’a dit. Il a tenu à sanctionner de son approbation la politique de M. le comte de Mun au risque de paraître désavouer la politique de M. le comte de Falloux. Il a fait son choix depuis longtemps, et il n’y met certes aucun subterfuge : il se distingue plutôt par une audacieuse ingénuité.

Ce qu’il veut, ce qu’il avoue pour son dogme, c’est « la vérité tout entière, » la vérité catholique et monarchique, telle que la comprend, telle que l’a exposée l’élu de Pontivy. Ce qu’il appelle c’est un avenir préparé par des hommes de foi et de courage « ne craignant pas de dire en face à la révolution triomphante ce qu’elle est dans son essence et son esprit, et à la contre-révolution ce qu’elle doit être dans son œuvre de réparation et d’apaisement… » A ses yeux, la France, telle que la révolution l’a faite ou menace de la faire, est « l’état sans Dieu, c’est-à-dire contre Dieu… » Il faut rétablir les bases fondamentales, les vérités éternelles, les principes nécessaires, renouer les anneaux de la chaîne séculaire, et en recommandant à M. de Mun d’être son interprète dans l’œuvre apostolique auprès des ouvriers, l’héritier de la monarchie légitime ajoute : « Répétez-leur sans cesse qu’il faut, pour que la France soit sauvée, que Dieu y rentre en maître pour que j’y puisse régner en roi ! » M. de Falloux, dans les pages qu’il a écrites il y a quelques semaines, avant la dernière lettre de M. le comte de Chambord, raconte fort spirituellement que saint Thomas, ayant à juger trois candidats proposés pour la direction d’un monastère, demanda quel était le caractère de ces trois candidats. « Faites-moi leur portrait, dit-il ; qu’est-ce qui caractérise le premier ? — Doctissimus ! Saint Thomas réfléchit un instant, puis répondit : Doceat. Et le second ? — Sanctissimus ! Le saint réfléchit encore et répondit : Oret. Et le troisième ? — Prudentissimus ! Le saint reprit sans hésiter : Régal… » Que le prudent, que l’habile règne et gouverne ! — M. le comte de Chambord, et ce n’est pas lui manquer de respect, est certes digne par sa foi et par sa piété d’être le second de ces candidats de saint Thomas : Oret !

Il est convaincu sans doute que la France ne peut être sauvée qu’à ce prix. Il est absolument sincère dans ce mysticisme dont il fait sa politique. Seul, comme il le dit, il a « intact entre ses mains le dépôt sacré de nos traditions nationales et de nos grandeurs. » Seul, par son caractère de représentant de la monarchie traditionnelle, il a le droit de tracer des directions, et dans sa lettre à M. de Mun il ne fait que rappeler le programme « du salut de la délivrance » à la veille d’un nouveau scrutin. Fort bien ; mais alors quelle position fait M. le comte de Chambord à ceux de ses amis qui vont se présenter à ce scrutin du 5 janvier ? Quelle est la condition étrange de ces légitimistes ouvertement liés à un programme dont le premier mot est la négation, la destruction de tout ce qui existe, de la société même sortie de la révolution