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lui donnera un boisseau de blé après la récolte, une journée de travail dans son jardin ou dans son champ. Vous voyez combien la monnaie se multiplie de cette manière. Tel homme n’enverra pas son fils à l’école s’il faut qu’il paie vingt sous par mois, qui l’enverra s’il est convenu de donner des œufs, une poule, du grain. Voilà les mœurs du pays, les mœurs que j’aime à étudier pendant plusieurs mois de l’année… Il s’élèvera des haines contre le maître, si des parens sont saisis… Je ne veux que quatre ou cinq saisies pour que le maître soit l’homme le plus odieux de la commune. »

À ce tableau présenté avec vivacité un député répondit qu’il avait vu aussi un grand nombre de maîtres d’école de campagne, qu’on ne leur donnait ni poules, ni œufs, qu’on ne leur donnait rien du tout. De leur côté, M. Guizot, M. Dubois, protestèrent au nom de la dignité de l’enseignement. Ils invoquèrent la pratique des autres nations : celle de l’Ecosse, de la Hollande, de l’Allemagne, de tous les pays où l’instruction primaire est devenue universelle. Il faut s’attendre à des débats analogues quand viendra la discussion de l’obligation ; cette fois encore on pourra attester l’expérience des autres contrées pour prouver que l’instruction gagne en considération chez les peuples quand elle est présentée, non comme une marchandise qu’on peut accepter ou refuser, mais comme un service public auquel personne n’a le droit de soustraire ses enfans.

Il n’est pas nécessaire que la sanction soit rigoureuse, pourvu qu’elle soit sûrement et régulièrement appliquée. Les occasions d’y avoir recours ne tardent pas à devenir rares ; dans les pays où cette sanction existe depuis longtemps, c’est à peine si l’on se trouve dans la nécessité de punir. L’opinion prend vite parti pour le législateur, et bientôt elle ne comprend pas que les choses n’aient pas toujours été ainsi. M. de Laveleye, dans son livre sur l’Instruction du peuple, raconte que voyageant un jour dans l’Engadine, il rencontra une femme de village avec laquelle il lia conversation. Lui parlant de ses enfans, il lui demanda s’ils allaient à l’école. « Mais ils y sont tous obligés, répondit-elle avec étonnement. N’en est-il pas de même chez vous ? » Elle avait peine à croire qu’il y eût des pays où l’on pût commettre impunément ce qui était pour elle une grave désobéissance aux lois.

Ici se présente la question : Jusqu’à quel âge l’enfant sera-t-il tenu à la fréquentation de l’école ? Quelques-uns proposent de ne pas inscrire dans la loi une limite d’âge, et de faire dépendre d’un examen la sortie plus ou moins hâtive de l’enfant. Je pense qu’il serait périlleux d’entrer dans cette voie ; ce serait transporter dans les villages et aux environs de la douzième année les scènes humiliantes auxquelles donne lieu le baccalauréat chez les jeunes