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pour les supprimer, d’un moyen aussi sûr que peu bruyant. La nouvelle législation de l’enseignement s’abstint d’en prononcer le nom, elle en ignora l’existence, et elle rendit ainsi sans objet le brevet supérieur qu’avait fondé la loi de 1833 pour les instituteurs aspirant à diriger des écoles de ce genre. Celles qui restaient se fermèrent ou se changèrent en établissemens privés. Ainsi fut accompli un mémorable pas en arrière : on ne peut s’empêcher de songer avec regret à ce que serait aujourd’hui notre instruction populaire, si l’élan donné en 1833 avait continué. Dès la seconde moitié du règne de Louis-Philippe, les signes d’affaissement se font sentir ; après 1848, on assiste à une déroute. Il faudra de longues années pour réparer ce retard, ou plutôt, ainsi qu’il arrive d’habitude, le mal commis avec la facilité qu’on vient de voir est irréparable. On ne fera pas rentrer dans les écoles les générations qui ont reçu depuis vingt-huit ans un enseignement insuffisant. Une autre réflexion s’impose à l’esprit : c’était pour refréner l’esprit révolutionnaire qu’on limitait ainsi l’instruction.

Cependant, durant les dernières années de l’empire, un progrès important fut réalisé. Des anciennes écoles primaires supérieures, une seule, celle de la rue du Vert-Bois, fondée par M. Pompée, puis dirigée par M. Marguerin, avait survécu : cette école fut adoptée par la ville de Paris sous le nom d’école Turgot. Puis, sur ce modèle, la ville fonda ses écoles Colbert et Lavoisier, dont le succès dépassa toute attente[1]. Par un remarquable exemple de sélection, la seule qui avait résisté devint la souche d’une espèce qui reproduisait le type primitif, mais en l’accentuant avec plus de force et de netteté. C’est ce type qu’il importerait aujourd’hui de répandre dans la France, avec les modifications exigées par la variété des régions et par la diversité des ressources ; à cause de cette origine, au lieu du nom d’écoles primaires supérieures, qui est un peu long et compliqué, nous préférerions la désignation plus simple : écoles Turgot. Le projet de M. Bardoux porte qu’une école primaire supérieure sera créée dans tous les chefs-lieux de canton et dans toutes les communes dont la population est supérieure à trois mille âmes. Il serait sans doute impossible de créer tout d’un coup trois mille écoles Turgot. Il suffira pour commencer que chaque arrondissement en ait une ; quant à la localité, contentons-nous de dire (on verra les raisons plus loin) qu’elle sera d’autant mieux choisie qu’elle sera moins à proximité d’un collège. Il faut espérer d’ailleurs que le mouvement en faveur des écoles Turgot n’aura pas pour effet de ralentir un autre, mouvement non moins nécessaire en faveur des

  1. Voyez, dans la Revue du 15 juin 1875, l’étude sur les Realschulen allemandes et les écoles Turgot.