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caractéristiques : « Il faut avoir vu nos locaux il y a dix ans pour se faire une juste idée de leur indigence. Tout nous manquait… A la longue, les maîtres les plus résolus finirent par se lasser et, après avoir dépensé dans une attente toujours vaine leurs désirs et jusqu’à leurs regrets, ils renoncèrent à l’espoir de former des élèves et se résignèrent à vivre d’expédiens, renfermés dans leurs propres travaux… Le talent chez plusieurs, le génie chez quelques-uns, forçaient tous les obstacles, et pendant de longues années encore notre pays se maintint quand même à son rang… Serait-il juste cependant d’ériger en système l’indifférence et la pauvreté ? À ce compte, je craindrais de voir s’épuiser notre veine, et ce n’est pas sans un grave souci que nous pouvons voir disparaître certains hommes dont les pareils sont trop longs à venir. C’est aux successeurs de ces hommes éminens, pour qui nous n’aurons jamais assez de respect et de soins, qu’il nous faudrait songer ; ce sont leurs disciples qu’il nous faut servir avec une ardente sollicitude et sans nous lasser ; car notre pays s’est comporté, pendant un trop long temps, à la manière de ces héritiers qui ont reçu en naissant un grand nom avec de grands biens, et que la misère surprend un jour parce qu’ils n’ont pas su prévoir que leur fortune n’était pas inépuisable et que le nom même peut périr, si on ne le continue par des œuvres. »

Cependant on se tromperait si l’on croyait qu’à prix d’argent il soit aisé d’effacer les conséquences d’une incurie de trente ans. Il faudra longtemps encore poursuivre et développer ces patriotiques mesures pour regagner les années perdues. D’ailleurs les autres nations sont entrées avec nous ou avant nous dans la même voie : une véritable émulation règne parmi tous les peuples civilisés de l’Europe, à qui dotera plus généreusement et installera sur un meilleur pied universités, laboratoires, bibliothèques. La seule université de Leipzig, en 1874 et 1875, avait un budget annuel de 2 millions, sans compter les rétributions des étudians. L’université de Vienne présente un ensemble de 370 cours. Un seul laboratoire de chimie, à Berlin, a coûté 1,200,000 francs. La crainte. d’en faire trop est donc prématurée. Plus d’une mesure nécessaire reste à prendre : il reste, par exemple, à écarter des salles de cours : le public désœuvré qui en encombre les bancs au détriment, et l’on peut dire aux dépens des élèves. Les bibliothèques des facultés ne sont pas encore partout accessibles aux étudians : il faudrait aussi trouver le moyen de mettre les auditeurs en contact plus fréquent et plus familier avec le maître, de manière à augmenter son influence morale et à raviver quelque chose de l’ancien esprit qui faisait une seule et même corporation des professeurs et des étudians.