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forces. Le sort, cette fois, se prononça en faveur des Corinthiens. Les vainqueurs ne s’arrêtèrent pas « à remorquer, suivant la coutume, les coques des vaisseaux submergés. » Ce n’était pas de trophées qu’ils étaient avides, c’était de carnage et de vengeance. Leurs trières parcouraient en tous sens la mer couverte au loin de débris et de naufragés. Tout ce qui se montrait à la surface était achevé sans pitié ; plus d’un Corinthien reçut la mort de la main de ses compatriotes. La flotte de Corinthe avait quitté la côte avec trois jours de vivres, elle ne pouvait songer à poursuivre son triomphe avant d’avoir touché barres au continent voisin pour y remplacer les provisions consommées. Un autre soin plus exigeant encore l’eût d’ailleurs retenue. Il lui fallait ensevelir ses morts. Nul devoir ne s’imposait alors plus impérieusement au général victorieux ; c’eût été jouer sa vie que de se laisser entraîner par l’ivresse du succès à le méconnaître. Tous ces délais donnèrent aux Athéniens le temps d’accourir au secours de Corcyre, car c’était en faveur de Corcyre que le peuple d’Athènes, sollicité par les deux partis, avait jugé à propos de se prononcer. Les Corinthiens venaient d’entonner le péan pour l’attaque quand tout à coup ils se mirent à voguer en arrière. Les Corcyréens se demandaient en vain ce que pouvait signifier cette étrange manœuvre. Ils se l’expliquèrent quand ils eurent découvert à leur tour vingt vaisseaux athéniens qui se dirigeaient de toute leur vitesse vers le champ de bataille. Bien que cette intervention n’eût guère eu pour effet que de séparer les combattans, Sparte ne pardonna pas à la grande cité, dont la prospérité excitait depuis longtemps son envie, d’avoir, sans la consulter, assumé le rôle d’arbitre dans une querelle qui intéressait la Grèce tout entière. Les esprits s’aigrirent, les pourparlers engagés s’envenimèrent, et bientôt il fut évident qu’un conflit général allait mettre aux prises, d’un côté l’Attique et les îles, de l’autre Lacédémone et le reste de la Grèce.

Le conflit cependant était si grave que l’explosion eût pu se faire attendre longtemps encore, si les Athéniens, impatiens de prendre leurs sûretés, ne fussent venus, par un excès de précaution, redoubler les alarmes des Péloponésiens. Le golfe de Salonique est séparé du golfe de Cassandre par l’isthme de Pallène. A toutes les époques, cette position a été jugée importante. Elle était, au Ve siècle avant notre ère, occupée par la ville de Potidée, colonie corinthienne, mais colonie passée, par suite des obligations contractées après la guerre médique, sous le joug impérieux d’Athènes. Les Athéniens voulurent mettre Potidée à la merci de leur flotte pour la mieux retenir dans leur alliance. Ils exigèrent la démolition des murailles qui protégeaient la ville du côté de la mer. Les Potidéens se réclamèrent sur-le-champ de Corinthe, et Corinthe leur