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envoya seize cents hoplites. À cette défection, qui pouvait être d’un si fâcheux exemple, les Athéniens répondirent par l’investissement de Potidée. Ce fut le coup de canon de Sinope, ce coup de canon de 1854, qui fit évanouir en un clin d’œil les derniers scrupules de la Grande-Bretagne. Des Doriens assiégés par des Ioniens ! C’était tout le contraire qu’on voyait autrefois. La race dorienne était-elle donc si dégénérée ? Où s’arrêterait Athènes dans ses empiétemens ? Il n’était que temps de songer à sauver la liberté de la Grèce. S’attaquer à la puissance d’Athènes n’était pas cependant une mince affaire. Les Lacédémoniens ne possédaient pas de trésor public ; les Péloponésiens, à l’exception de Corinthe adonnée au commerce, vivaient de la culture de leur territoire. On avait, il est vrai, la ressource de s’emparer des fonds déposés à Delphes et à Olympie, mais ces fonds, il faudrait tôt ou tard les restituer. Un secret espoir qu’on n’avouait qu’à demi laissait entrevoir la possibilité d’obtenir les secours du grand roi. Cet espoir seul était un aveu d’impuissance et une honte indélébile pour le Péloponèse. En temps de guerre civile, on n’y regarde pas de si près ; la ligue s’adresse à l’Espagne, Henri IV à Elisabeth. Avec l’or d’Artaxerce on enlèverait aux Athéniens une partie de leurs rameurs, on ferait venir des vaisseaux d’Italie et de Sicile, on en construirait dans les ports de la Laconie ; les alliés se trouveraient ainsi en état de soutenir une guerre maritime. C’était chose nouvelle pour les Spartiates, peu habitués à s’éloigner de leurs foyers et dont toute l’ambition avait jusqu’alors consisté à opprimer leurs voisins. On comprend donc les hésitations qui devaient arrêter les vaillans hoplites convoqués dans les champs de Sparte par les éphores. L’éloquence des députés de Corinthe ne parvint pas sans peine à leur arracher une détermination dont ils mesuraient les conséquences avec une inquiétude qui ne fut que trop justifiée.

Le vrai courage ne se lance pas à la légère dans les aventures. « Ce n’est pas sur les fautes présumées de l’ennemi qu’il fonde ses espérances ; » il délibère avec calme parce qu’il se propose, le moment venu, d’agir avec vigueur. Plus un général montrera de mesure dans les conseils, plus on pourra compter sur son énergie pour exécuter ce qui aura été résolu. Il se rencontre par malheur en tous pays, nous apprend Thucydide, une jeunesse ardente d’autant plus portée à essayer de la guerre que son inexpérience lui en laisse ignorer les périls. « Ce n’est pas la coalition de 93 que nous aurons à combattre, écrivait en 1840 le roi Louis-Philippe, ce sera la coalition de 1813. » Qui ne traitait alors ces appréhensions si sages de craintes pusillanimes ? Qui n’a reproché à l’empereur Napoléon III de s’être arrêté en 1859 devant le quadrilatère autrichien et devant les menaces de plus en plus accentuées de l’Europe ? Laissez donc