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tour de traverser le golfe. Les alliés, intimidés, se replient avec précipitation vers la côte ; dès qu’ils s’en trouvent suffisamment rapprochés, ils jettent l’ancre. La nuit se passe pour eux dans de cruelles angoisses. Trois amiraux : Machaon, Isocrate, Agatharchidas, commandaient les Corinthiens. Au jour, ils reconnurent qu’il leur serait difficile d’éviter le combat. Ils auraient eu trop de désavantage à le recevoir au mouillage. Les vaisseaux appareillent et se rangent en cercle, les proues en dehors, les poupes en dedans ; les bâtimens légers vont se réfugier au centre. Une réserve de cinq vaisseaux de guerre se tient également à l’intérieur du croissant, prête à se porter au secours de la partie de la ligne qui paraîtra fléchir. Bel ordre en effet, pourvu qu’on le conserve ! Phormion ne s’émeut guère de cette formation défensive. L’ennemi se groupe pour la résistance, donc il se sent et s’avoue le plus faible. La flotte athénienne s’approche et défile lentement devant le front ennemi. La provocation n’a pas modifié l’attitude des Corinthiens. Phormion retient encore l’ardeur de ses capitaines. Sous les peines les plus sévères, il leur a défendu d’en venir aux mains avant qu’il leur en ait lui-même donné l’exemple et adressé le signal. Qu’attend donc Phormion ? Il attend le vent qui souffle d’ordinaire, à l’aurore, du fond du golfe de Corinthe. C’est ce vent-là qui fera sortir les Turcs de Patras quand leurs vigies auront découvert, le 7 octobre 1571, la flotte de don Juan d’Autriche. Bientôt la surface du golfe commence à se rider, la brise se lève et se lève à l’heure prévue. Insensiblement elle fraîchit, et les vagues peu à peu se creusent. Les vaisseaux corinthiens ont peine à garder leur poste. Ils se heurtent ; d’un bord à l’autre les matelots se repoussent mutuellement avec les gaffes. On crie, on s’injurie, le désordre est à son comble. Ni les ordres des triérarques, ni la voix rythmée des céleustes ne parviennent à se faire entendre ; les rames s’embarrassent, les navires ne gouvernent plus. Bien coupé, Phormion ! maintenant il faut coudre. Les Athéniens d’un bond sont sur l’ennemi, un des trois vaisseaux amiraux est coulé. Le reste fuit vers Patras. Ne croirait-on pas assister à la rencontre de deux escadres cuirassées ? L’escadre qui, de nos jours, aurait l’imprudence d’attendre stoppée l’assaut de l’ennemi s’exposerait certainement, quelle que fût la figure géométrique que ses vaisseaux auraient pris soin d’affecter sur le terrain, au sort de la flotte commandée par ces trois amiraux novices, Machaon, Isocrate et Agatharchidas ; elle tomberait en travers à la moindre brise. La première condition pour rester en ligne, c’est de conserver, avec une certaine vitesse, la faculté de gouverner. La flottille de la Seine donnerait à ce sujet, sans qu’il fût besoin d’aller jusqu’à Dieppe, des leçons de tactique aux Parisiens. Il n’est donc pas facile de s’expliquer la faute commise par les Corinthiens,