Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/792

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une autre feuille deux ou trois lignes dont la lecture avait causé à sa sœur une vive émotion. Elle avait hâté leurs préparatifs de départ et dit à Carmen qu’elles se rendraient à Mérida, où elles résidèrent en effet quelques semaines. De là elles étaient venues s’établir au palais du gouverneur. Pendant leur séjour à Mérida et dans les premiers temps de leur installation à Uxmal, Mercedes, en proie à une anxiété qu’elle ne pouvait cacher, avait eu de fréquens entretiens avec le curé Carillo. Peu à peu elle était redevenue triste et grave, indifférente en apparence à ce qui se passait autour d’elle. Depuis sa dernière conversation avec Fernand, il n’en était plus de même. Carmen devinait qu’un secret pesait sur leur vie. Mercedes avait dû l’apprendre lors de son voyage aux États-Unis. La lettre reçue à Mexico et le papier qu’elle contenait lui avaient donné une lueur d’espoir ; depuis elle s’était découragée. Dans leurs entretiens quotidiens Mercedes lui répétait qu’elles devaient vivre loin du monde : une cause mystérieuse qu’elle lui expliquerait plus tard les condamnait à l’isolement ; les malheurs qui les avaient frappées n’étaient pas les seuls qu’elles eussent à redouter, leur vie était finie avant même d’avoir commencé. Il leur fallait se soumettre, porter ailleurs et plus haut leurs aspirations et leurs vœux, supporter patiemment l’épreuve et se courber sous la volonté de Dieu. Pour ne pas affliger sa sœur, Carmen se résignait, elle aussi ; mais, si le dévoûment de leurs amis pouvait leur venir en aide, devait-elle rejeter ce secours inespéré ? Elle n’en avait pas le courage ; elle acceptait leurs offres, et, quel que fût le résultat, elle les remerciait du fond du cœur.

Fernand l’écoutait avec émotion. George Willis lui-même sentait avec surprise quelque chose d’inconnu s’agiter en lui. Il se dit que ce devait être la vue des pleurs de Carmen.

Les jeunes gens rejoignirent Mercedes, on prit le thé, puis le curé Carillo s’apprêta au départ. Il se souciait peu de voyager de nuit, surtout dans le voisinage d’Uxmal. George et Fernand partirent en même temps que lui, non sans avoir renouvelé à dona Carmen leur promesse de la tenir au courant des mesures qu’ils prendraient.

Le jour baissait ; l’ombre envahissait lentement la forêt silencieuse. Les pas des chevaux, amortis par la mousse et le gazon, qui tapissaient le sentier, réveillaient à peine les oiseaux endormis. Çà et là une clairière annonçait le voisinage d’un monticule dominé par des ruines. Sur les pans de murs aux faîtes écroulés, les grands ibis blancs, immobiles comme des statues, daignaient à peine tourner la tête pour les regarder passer. Dans cette demi-obscurité, les vieux palais revêtaient un aspect fantastique, et les oiseaux de