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discrétion. Depuis le jour où, entraînée par son émotion, elle avait failli se trahir, Fernand s’était abstenu de la questionner, mais elle devinait que son silence n’était pas de l’oubli, encore moins de l’indifférence. Auprès d’elle, il avait redoublé d’affectueuse sympathie. Loin d’ébranler sa confiance et son admiration respectueuse, les quelques mots échappés à Mercedes n’avaient fait qu’augmenter l’une et l’autre. Elle lui avait avoué qu’un mystère pesait sur sa vie, sur son honneur, et pourtant aucun doute injurieux n’effleurait sa pensée. Dans leurs longues causeries, Fernand s’étudiait à la distraire ; il lui parlait de ses voyages, de l’Europe, de la France qu’elle aimait. Parfois il lui disait qu’un jour, elle aussi, visiterait ces pays inconnus. Elle répondait par un sourire de tristesse et d’incrédulité, mais elle trouvait un grand charme à ces entretiens, qui l’arrachaient à ses préoccupations et lui faisaient entrevoir dans un horizon lointain d’autres terres, d’autres cieux, peut-être même l’oubli.

Pendant ce temps, Carmen se promenait sur la terrasse avec George Willis, le pressant de questions dont l’impétuosité déroutait sa logique. Ce jour-là surtout, elle ne le laissa pas respirer. Dès qu’elle vit Fernand auprès de sa sœur, elle se dirigea vers l’extrémité de la terrasse. — Et maintenant commencez, je vous écoute.

— Eh bien, dona Carmen, Fernand a ramené ce matin un chien qui se noyait et...

— Le moment est mal choisi pour plaisanter.

— Ce chien, continua George, était celui d’Itza, qui...

— Mais dites-moi donc que vous l’avez enfin trouvée.

— Vous me demandez les détails, je vous les donne en procédant avec ordre.

— Et que vous a dit Itza ?

— Rien, nous ne l’avons pas encore questionnée, et, à dire le vrai, elle ne paraît pas bavarde de son naturel.

— C’est tout ?

— Mais oui... à peu près... Fernand a visité la Casa de las Monjas ; il n’y a rien à faire de ce côté.

— Vous vous lasserez, reprit tristement Carmen, dans une de ces évolutions qui lui étaient familières et qui avaient le don de déconcerter George Willis, vous vous lasserez... que pouvez-vous faire avec si peu de renseignemens ? Je me sens bien découragée, comment ne le seriez-vous pas aussi ?

— Mais pas du tout, dona Carmen, moins que jamais. Fernand a bon espoir et moi aussi ; je l’ai entretenu d’une idée qui m’est venue, demain nous saurons à quoi nous en tenir et...

— Et vous ne m’en disiez rien. Mais parlez donc ! — et l’impétueuse