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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/799

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jeune fille s’arrêta court en le regardant d’un air suppliant.

George lui raconta alors ses suggestions et ce qu’en pensait son cousin. Dès le lendemain ils s’assureraient si elles étaient fondées. En l’écoutant, Carmen se reprit à espérer, elle aussi. Quoi qu’elle en eût, le calme et le sang-froid obstinés de George Willis l’impressionnaient favorablement tout en l’exaspérant parfois. Elle lui demanda pardon de sa vivacité et s'excusa si doucement que George la quitta plus convaincu que jamais qu’il y avait deux femmes dans dona Carmen et que, lorsqu’il causait avec l’une, l’autre faisait soudainement irruption dans la conversation, ce qui ne laissait pas que de jeter du désordre dans ses idées.

Dès le jour naissant, les jeunes gens se mirent à l’œuvre pour examiner le côté sud du Palais du Nain. La tâche n’était pas facile ; la végétation touffue leur opposait une barrière presque infranchissable. Les lianes, les ronces, les arbustes, les convolvulus géans aux tiges souples, les cactus épineux recouvraient un amoncellement de débris entre lesquels il fallait se glisser. Fernand fit remarquer à son cousin que sur ce versant du monticule il n’existait aucun arbre de haute taille. Cet indice semblait confirmer la supposition de George et redoublait leur ardeur. Après un travail obstiné, leurs matelots réussirent enfin à se frayer un passage, et du premier coup d’œil Fernand constata que son cousin avait raison. La façade entière, entraînée par un éboulement, gisait à leurs pieds, couvrant un espace considérable. La chute était de date récente, et les pierres, à peine disjointes, offraient une surface unie que les saxifrages envahissaient lentement. Il n’y avait plus à en douter, le plan mystérieux était bien le plan du Palais du Nain.


VI.

Itza ne s’éloignait pas. Elle passait des heures à errer dans les ruines, revenant toujours à la statue du nain, pour laquelle elle montrait une prédilection toute particulière. George et Fernand avaient donné ordre qu’on la laissât libre d’agir à sa guise. Dans un des angles de la terrasse, abrité du soleil par un grand catalpa, elle s’était fait un lit d’herbes sèches et y passait la nuit avec le chien à ses pieds. Quant aux efforts de George pour la faire parler, ils demeuraient infructueux. Elle lui témoignait en toutes circonstances une indifférence et une apathie qui auraient lassé tout autre que lui. La présence de Fernand avait seule le don d’adoucir son regard farouche, mais il ne s’en apercevait même pas, et, confiant dans