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leur inspirait pour recourir à son art. Restés seuls, il lui demanda en espagnol si Fernand vivait encore ; elle fit signe que oui. — Pourrait-elle le sauver ? — Quien sabe, je ne sais, répondit-elle. — Ses yeux brillaient d’un éclat singulier ; fixés sur le blessé, ils semblaient attendre et guetter quelque chose. Enfin la poitrine du jeune homme se souleva, et un soupir sortit de ses lèvres décolorées. George crut que c’était le dernier ; mais l’immobilité de l’Indienne le rassura. Doucement elle promena sa main sur la poitrine de Fernand, desserra ses vêtemens, humecta son visage et l’éventa légèrement avec une feuille de catalpa. Une rougeur fugitive reparut sur son front, où perlèrent quelques gouttes de sueur ; Itza renouvela le pansement et, reprenant sa place auprès de Fernand, elle resta immobile et taciturne.

La journée s’écoula ; vers le soir un changement se produisit, des mots sans suite s’échappèrent des lèvres du blessé. A la prostration absolue succédait une fièvre intense qui dura toute la nuit. Au matin seulement, Itza se tourna vers George, et lui dit : — Je crois qu’il vivra. — Pendant ces longues heures d’attente, George avait repris courage. Le sang-froid de l’Indienne, ses soins dévoués lui inspiraient une confiance entière ; aussi, quand elle l’engagea à prendre un peu de repos, il n’hésita pas à suivre son conseil et à la laisser seule avec le blessé.

Immobile auprès de lui, elle ne semblait connaître ni sentir la fatigue. Son regard, plein d’une douceur infinie, fixé sur Fernand, épiait ses moindres mouvemens et cherchait à deviner sur ses lèvres les mots qu’il murmurait dans une langue inconnue. Un nom qu’il prononça la fit tressaillir : elle redoubla d’attention : — Mercedes, — redit tout bas Fernand, et un sourire éclaira son visage, pâli. — Mercedes, — répéta-t-il encore avec effort, entr’ouvrant pour la première fois les yeux et regardant sans la voir l’Indienne, qui le contemplait avec une morne tristesse. Quand George, un peu reposé, vint reprendre sa place au chevet du lit, il fut frappé de l’altération des traits d’Itza ; elle se leva en hâte et lui fit signe de ne pas quitter le malade avant son retour.

Son absence fut longue. Elle revint exténuée de lassitude ; d’un coup d’œil elle s’assura que l’état de Fernand était le même, et, sans répondre un mot aux questions de George, sans même paraître les entendre, elle s’assit dans un angle de la pièce et s’enveloppa la tête de son sérapé, indifférente en apparence à ce qui se passait auprès d’elle.

George attribua son mutisme à la fatigue ; absorbé dans ses pensées, il oublia Itza pour ne plus songer qu’à Fernand, qui gisait là entre la vie et la mort. Ce fatal accident lui avait fait perdre de vue