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des physiologistes et des philosophes qui font autorité dans la science ? Parce que, comme l’unité, comme la causalité, la finalité de l’être vivant est généralement confondue par les écoles spiritualistes avec certaines entités métaphysiques antipathiques au monde savant. La cause finale, créatrice et directrice de tous les phénomènes de la vie proprement dite, n’a pas nécessairement conscience du but qu’elle poursuit, et c’est compromettre la thèse des finalistes que de transporter dans la finalité de tous les êtres vivans tous les caractères sous lesquels se révèle la finalité humaine. La nature vivante agit toujours comme si elle avait conscience de la fin qu’elle réalise ; il n’est ni nécessaire ni même sensé de la lui supposer. Dans la sphère de l’activité humaine elle-même, cette distinction est manifeste. L’instinct ne poursuit-il pas un but, aussi bien que l’intelligence, but que, par parenthèse, il atteint plus sûrement et plus directement que la volonté réfléchie ? Et pourtant on convient que l’action instinctive exclut toute réflexion et toute liberté. La grande artiste qui crée, façonne, dirige, organise toutes choses dans l’économie de la vie universelle, n’a pas le secret de ses œuvres comme l’artiste humain ; elle ne les domine pas de toute la hauteur de la pensée : son art est aussi aveugle qu’il est sûr, son travail incessant et sourd est tout intérieur. Mais si l’œil lui manque pour voir ce que fait sa main, l’œil de l’intelligence est là pour le voir, le contempler et l’admirer, et il faut que l’entêtement systématique soit bien grand pour le fermer à l’éclatante lumière des faits. La recherche de la finalité des œuvres naturelles est devenue banale depuis les révélations de la science moderne. Ce qui ne l’est pas, c’est la vigoureuse logique avec laquelle M. Chauffard poursuit les conséquences du principe posé en tête de son livre, à savoir l’idée de la vie. Si rien n’est plus difficile à concevoir que la finalité sans une cause vitale créatrice et organisatrice de tout l’appareil organique, rien n’est plus facile et plus clair, ce principe une fois admis. Tout alors coule de source, dans l’explication des phénomènes vitaux. On lira avec un intérêt tout particulier le chapitre de ce livre où l’auteur défend et maintient contre l’anathème de l’école mécaniste la vieille doctrine de la finalité médicatrice. Cette école n’a qu’un mot pour expliquer le phénomène ; pour elle, la prétendue vertu médicatrice de la nature n’est qu’une propriété en action. « Qu’est-ce que cela veut dire ? s’écrie M. Chauffard. Une propriété ne marche pas à une fin ; à bien dire, une propriété n’agit pas, ne possède pas en elle un principe propre d’action. Une propriété est un mode passif de l’être. Si l’on réduisait la vie à l’idée étroite et fausse de propriété de la matière, on ne saurait rien ni de [1]

  1. La Vie, p. 371.