Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/871

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’autorité de la justice. La Russie est peut-être cependant tombée dans le défaut opposé au défaut de la France ; si nous avons trop de tribunaux trop peu occupés, elle n’en a peut-être pas assez. Le nombre en pourra croître avec l’accroissement de la population et de la richesse sans ravaler en les prodiguant les fonctions et le titre de juges[1].

La Russie a imité la France dans la composition comme dans la hiérarchie de ses tribunaux. La justice de paix est, comme chez mis, la seule où siège un juge unique. Dans tous les autres tribunaux, la Russie, à l’opposition de l’Angleterre, a préféré le système de la pluralité des juges, en dépit du reproche souvent fait à la justice collégiale d’affaiblir l’attention et la conscience du juge en divisant la responsabilité. D’après la loi russe, dans chaque cause civile ou criminelle doivent siéger trois magistrats dont l’un fait fonction de président. Les tribunaux de cercle ou d’arrondissement jugent au criminel comme au civil, dans ce dernier cas avec le concours du jury et sans appel. Alors même la loi laisse aux cours supérieures une sorte de contrôle sur les tribunaux de cercle, en n’autorisant les poursuites criminelles devant ces derniers que sur l’avis le la cour d’appel (soudebnaya palata).

L’empreinte française est particulièrement marquée dans la cour suprême et dans le mode de cassation. Les Russes nous ont emprunté le mot et la chose. En laissant le sénat dirigeant de Pierre le Grand au sommet de leurs institutions judiciaires, ils en ont ramené les fonctions à celles de notre cour de cassation. Comme cette dernière, le sénat russe se borne à vérifier la régularité de la procédure et la légalité des décisions des tribunaux sans décider lui-même sur le fond des affaires. Je dois dire qu’en Russie la loi qui restreint les fonctions de la cour suprême à ce rôle de révision a été l’objet de plus d’une critique. On reproche à ce système imité du nôtre d’accroître souvent démesurément et sans utilité la durée et les frais des procès. Certains juristes voudraient qu’au lieu de se borner à casser les arrêts des cours inférieures, et à renvoyer la cause devant d’autres juges, le sénat pût en matière civile rendre lui-même, sans nouveaux débats, une sentence définitive.

A la différence de notre haute cour de justice, le sénat russe n’est pas seulement cour de cassation. De ses anciennes fonctions, attestées par son titre illusoire de sénat dirigeant ou administrant[2],

  1. Il ne faut pas oublier du reste que l’organisation spéciale de la justice de paix et la création des assises de paix comme cour d’appel diminuent sensiblement le nombre des affaires soumises aux tribunaux ordinaires.
  2. Pravitelstvouiouchtchi, traduit d’ordinaire par dirigeant, signifie plutôt, administrant ou gouvernant.