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Page:Revue des Deux Mondes - 1878 - tome 30.djvu/884

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coûteux pour en faire un port excellent, tandis que deux batteries suffiraient à protéger l’entrée des deux passes. Or de Marseille à Obock, en passant par le canal, la traversée n’est plus que de quinze jours pour un navire à vapeur, et d’Obock au Choa la route est aisée à ouvrir.

Mais ici se présentait une première difficulté ; par cupidité d’abord, pour se procurer à bas prix sur les lieux de production l’ivoire et les esclaves, par fanatisme aussi pour conquérir à l’islam une nation restée jusqu’ici invinciblement chrétienne, les Égyptiens, depuis qu’ils sont à peu près dégagés de la suzeraineté de la Turquie, vivent sur les frontières du Sennaar dans un état constant d’hostilité avec les Éthiopiens. Bien plus, en 1866, à l’instigation de l’ambassadeur d’Angleterre à Constantinople, la Porte concéda au vice-roi d’Égypte tout le littoral de la Mer-Rouge ; faudrait-il voir dans cette cession, comme on le crut alors, une preuve de défiance de l’Angleterre envers la France qui avait naguère négocié avec Négousieh, rival de Théodoros, l’acquisition de l’ancienne Avalitis et qui venait d’acheter tout récemment la baie déserte d’Obock ? Quoi qu’il en soit, les Égyptiens s’empressèrent d’installer à Massaouah une forte garnison, et, maîtres ainsi de cette position, qui est comme la clé de l’Éthiopie, ils se donnèrent le méchant plaisir d’entraver son commerce et de pressurer ses marchands. M. Arnoux était au courant de la politique perfide de l’Égypte ; il savait que jamais de son plein gré elle ne permettrait qu’une nation étrangère cherchât à nouer des relations politiques et commerciales avec le centre de l’Afrique. Sur ces entrefaites, un événement douloureux vint confirmer ses appréhensions. Au mois de février 1871, une expédition française dirigée par M. Godineau de la Bretonnerie, ingénieur civil, et emmenant avec elle douze travailleurs, partait d’Alexandrie pour se rendre dans le Tigré ; en vertu d’un contrat conclu avec Alaka Bourrou, ambassadeur et mandataire de sa majesté le roi Johannès Kassa, M. Godineau recevait l’entreprise de tous les travaux publics à exécuter dans le royaume d’Éthiopie ; les frais qu’il était autorisé à faire dès ce moment devaient lui être remboursés intégralement à Adoua ou à Massaouah, et il toucherait en plus une provision de 10,000 talaris. Par malheur, le bruit de ces projets ne tarda pas à parvenir aux oreilles du gouvernement du khédive. Alaka Bourrou n’était qu’un misérable ; sa conscience fut vite achetée, et il accepta de faire échouer l’expédition qu’il devait conduire jusqu’à Adoua ; il n’y réussit que trop bien.

Instruit par cet exemple, M. Arnoux se garda bien d’attirer sur lui l’attention de la police égyptienne. Le 23 novembre 1872, il débarquait à Massaouah avec 20,000 francs de marchandises et y fondait un comptoir dans le dessein d’étudier de plus près la