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était de garde avait pour consigne de se promener sans cesse autour de l’amas ou boulot formé par les bagages, de veiller surtout à ce qu’aucun indigène n’essayât d’en approcher ; au moindre bruit ou mouvement suspect, il devait tirer en l’air un coup de fusil dont la détonation réveillerait les autres. Jaubert monta la première garde, Béranger le remplaça, puis vint le tour de Dissard. Celui-ci, cédant à la fatigue, ou peut-être ne jugeant pas tant de précautions nécessaires, s’endormit sur un pliant. C’est à ce moment qu’un indigène de la tribu des Assaï Mara, qui s’était introduit dans le campement en se glissant derrière un chameau, profita de son sommeil et le frappa par derrière d’un coup de lance ; le coup porta entre les épaules, un peu à gauche et à la place du cœur. Dissard courut l’espace de quinze ou vingt pas, puis, jetant un faible cri et lâchant son arme, il tomba mort. Il était environ une heure du matin.

Au même instant, un autre indigène, s’avançant près de Béranger endormi sur le dos, le frappe au ventre avec tant de violence que le fer traverse le corps de part en part, perçant aussi la couverture et la natte qu’il avait sous lui. Pourtant Béranger eut encore la force de se lever et, faisant trois ou quatre pas avec un cri épouvantable, il vint tomber sur M. Arnoux qui dormait à côté et qu’il inonda de son sang. L’alarme était donnée ; chacun avait saisi ses armes en sursaut. Les assassins s’enfuirent à la faveur des ténèbres, et ne purent être rejoints. Lorsque le jour parut, on enveloppa soigneusement les cadavres dans des pièces de toile blanche recouvertes de nattes en guise de bières, et on les porta dans deux fosses creusées pendant la nuit par les gens de la caravane. Après leur avoir dit un dernier adieu, on les couvrit de terre et l’on mit pardessus leur tombe un amas de grosses pierres afin de les préserver de la dent des bêtes féroces et de reconnaître au besoin l’endroit où ils reposent. Puis on s’occupa de rédiger un procès-verbal de l’événement signé des trois Français survivans et des chefs de la caravane.

Toute la journée se passa dans ces tristes occupations, et l’on ne se mit en route que le lendemain. Enfin le 30 octobre on arrivait au campement d’Agahé Dabbah ; tout danger avait disparu. M. Arnoux congédie ses cinquante guides et remet à l’un de leurs chefs, pour M. Chauvet, vice-consul de France à Aden, un pli renfermant le détail de la mort de ses compagnons avec le double du procès-verbal. Il prend alors les devans avec les autres Français et arrive à Fareh, première ville du Choa, précédant la caravane d’une huitaine de jours. Oullassema Awegas fait aux voyageurs un charmant accueil : le 20 novembre, la caravane vient de rejoindre ; le roi, prévenu de leur arrivée, a tout de suite envoyé Azadj Woldé Gabriel pour les recevoir et les conduire à la résidence qui leur a été