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préparée en attendant son retour d’expédition. Le 25 novembre, arrivée à Karra Tadé. M. Arnoux trouve là toute une maison montée, quinze domestiques à son service, des provisions et des vivres en grande quantité. Le roi lui écrit de se reposer en cet endroit des fatigues du voyage, lui-même va contremander l’expédition commencée et viendra le recevoir à Litché. Nous laissons ici parler le voyageur, dont nous avons le journal manuscrit sous les yeux :

« Le roi est de retour à Litché ; depuis une semaine on fait de grands préparatifs pour notre réception officielle, qui a lieu aujourd’hui ; tout le pays est en fête. De bon matin Azadj Woldé Gabriel se présente à notre résidence avec une suite nombreuse ; une mule du roi, richement harnachée, a été amenée pour moi, une autre pour M. Jaubert. La distance de Karra Tadé à Litché est de huit kilomètres environ ; un coup de canon donne le signal, et nous partons. Je suis vêtu de noir avec le frac, le chapeau de soie et les bottines vernies ; je m’aperçois que ce costume un peu trop civilisé excite dans la foule une grande curiosité mêlée de quelque terreur.

« Au milieu d’une grande plaine, à mi-chemin de Litché, trois mille hommes de cavalerie attendaient ; à notre vue, tout ce monde met pied à terre, nous également. Alors Ato Dargué, oncle paternel de Minylik, s’avance au-devant de moi et, me serrant la main, me souhaite la bienvenue au nom du roi et de tous les seigneurs ; une vingtaine de généraux l’entouraient, tous en grand costume, magnifiquement drapés dans leurs toges de soie aux couleurs éclatantes. On remonte à cheval ; plus de mille hommes à pied précédaient en courant à une grande distance ; les cavaliers suivaient, faisant trembler la terre sous l’amble de leurs chevaux. Tout à coup, en vue de Litché, une salve de dix-huit coups de canon, mêlée d’une bruyante mousqueterie, accueille notre approche. Ce canon est un de ceux qui furent offerts en 1843 à Sahlé Sallassi par M. Rochet d’Héricourt au nom du roi Louis-Philippe ; à trente-deux ans de distance, sa voix de bronze salue des compatriotes. Des cris d’allégresse partent de toutes les poitrines.

« En approchant des murs de Litché, l’escorte se détache pour rejoindre le roi, tandis qu’Azadj Woldé Gabriel, chargé de nous introduire, nous conduit vers la grande porte de la résidence royale. Un peuple immense fait la haie sur tout le parcours. Arrivés devant le palais, nous mettons pied à terre, les portes s’ouvrent, nous traversons successivement trois grandes cours très propres, décorées de verdure ; ici règne le plus profond silence par respect pour la majesté royale. Enfin, au bout d’un escalier de douze marches couvert de tapis, Azadj Woldé Tsadek, ministre de la maison du roi, me prenant par la main, m’introduit dans une vaste salle richement tapissée. Le roi est assis sur un large alga, sorte de divan,