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taire qu’on ne discute pas, et puisqu’on cite M. Thiers, il faudrait se rappeler que M. Thiers a dit aussi qu’il fallait parler le moins possible de ces choses-là. Le jour où l’on entre dans cette voie, où l’on se met à distinguer, à parler de la loi et du règlement militaire, de l’obéissance passive et de l’obéissance raisonnée, tout disparaît. On a une milice ou une garde nationale qui a un fusil pour défendre nos institutions et au besoin pour les combattre, — on n’a pas une armée qui va se faire tuer sur un mot, sans demander d’explications sur le sens du règlement militaire. — La loi est au-dessus de tout, au-dessus du règlement, qui donc le conteste ? Mais qui est chargé de représenter la loi sous les armes ? Est-ce celui qui commande, est-ce celui qui obéit ? En dehors de ces circonstances extraordinaires, palpables, pour lesquelles il n’y a pas de règle et où chacun se décide sous sa responsabilité, la discipline ne peut qu’être absolue. Si un chef de bataillon a le droit de demander à son colonel, à son général, quel est le sens caché de l’ordre qu’il reçoit, si on ne va pas par hasard le conduire à la violation des lois, à un attentat, — si un chef de bataillon a ce droit, pourquoi le soldat n’aurait-il pas à son tour le droit d’adresser la même question à l’officier qui le commande ? Et si on a ce droit à l’intérieur, pourquoi en temps de guerre officiers et soldats ne demanderaient-ils pas des explications avant de marcher, sous prétexte qu’on peut les conduire à une trahison de l’intérêt national, ce qui n’est pas moins grave que la violation des lois ? Voilà où l’on arrive. C’est absolument sans issue. S’il devait en être ainsi, au lieu de continuer les dépenses colossales qu’on s’est imposées, au lieu de laisser 550 millions inscrits au budget de la guerre, il vaudrait bien mieux retrancher 400 millions de ce budget, soulager d’autant les contribuables, et rester avec une force modeste, une gendarmerie augmentée, pour garder quelques postes et faire la police. La seule, la généreuse compensation des sacrifices que s’impose la France, c’est d’avoir une armée fidèle, disciplinée, laissée en dehors des partis, sans cesse améliorée dans son état moral comme dans son état matériel, et l’inconvénient de ces questions imprudemment soulevées c’est précisément d’obscurcir ce qui est l’unique intérêt dans les affaires militaires.

Il faut, dit-on, que l’armée sache son devoir, qu’elle ne se laisse pas conduire à des coups d’état. Sérieusement, est-ce qu’une circulaire nouvelle aura bien éclairci les choses ? Est-ce que les interprétations qu’on demande ne sont pas stériles ou dangereuses pour l’intégrité de l’armée ? Est-ce que ceux qui se proposent de violer les lois, qui en ont les moyens, qui sont favorisés par les circonstances, ne sont pas les premiers à invoquer ces lois et à se proclamer les défenseurs de la légalité ou du droit ? Les déclamations ne sont que des déclamations, et les circulaires ne sont que des précautions inutiles. Sait-on le seul et vrai