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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/112

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renoncé, même après qu’il s’est fait chrétien. Il aime à poser des questions inutiles, pour le plaisir de les discuter, quoiqu’il n’y ait aucune importance à les résoudre. Passe encore de disserter longuement sur la peinture : un Grec ne s’est jamais désintéressé des beaux-arts ; mais que sert de se demander si c’est un buveur d’eau ou de vin qui a les meilleurs songes ? Voilà des curiosités subtiles et vaines qui sentent le sophiste. Sur d’autres points, la méthode d’Apollonius diffère de celle des philosophes qui l’ont précédé. Tandis que l’école socratique enseigne à douter, Apollonius affirme toujours, « Lorsqu’il parlait, c’était comme un prêtre du haut de son trépied. Il disait sans cesse : Je sais. Un de ces hommes qui disputent sur des riens lui demanda un jour pourquoi il ne cherchait pas. J’ai cherché dans ma jeunesse, répondit-il ; maintenant il n’est plus temps pour moi de chercher, mais de dire ce que j’ai trouvé. » Et comme le même interlocuteur lui demandait de quelle façon doit enseigner le sage : « Comme un législateur, » répondit-il. C’est bien ainsi qu’il fallait parler à une époque fatiguée de recherches savantes, et qui voulait des solutions précises. Une autre différence frappante entre les anciens philosophes et lui, c’est que son enseignement est plus populaire. Il ne se contente pas de s’adresser comme eux à quelques disciples choisis ; à partir de midi, il parle à la foule. Il se fait simple pour être compris ; comme Jésus-Christ, il s’exprime par images et par paraboles. Par exemple, s’il veut enseigner la charité à son auditoire, il lui montre un moineau qui, ayant vu plusieurs grains de blé épais dans une rue, va chercher des compagnons pour les faire profiter de sa bonne aubaine. « Vous voyez, disait-il, comme les moineaux s’occupent les uns des autres, comme ils aiment à partager leurs biens ; et nous, lourde faire comme eux, si nous voyons un homme communiquer sa fortune aux autres, nous lui donnons le nom de dépensier, de prodigue, et d’autres semblables, et ceux qui sont admis à sa table, nous les appelons des flatteurs et des parasites. Que nous reste-t-il donc à faire, sinon à nous claquemurer comme la volaille qu’on engraisse, à nous gorger de nourriture, chacun dans notre coin, jusqu’à ce que nous crevions d’embonpoint ? » En somme, sa figure n’est pas tout à fait celle des anciens sages. On sent que la philosophie n’est plus pour lui, comme pour eux, l’occupation d’une âme élevée et d’un esprit curieux qui veut arriver à connaître la raison de l’univers et le but de la vie ; c’est une profession, à laquelle tout le monde n’est pas appelé. Les qualités de l’esprit et du cœur ne suffisent pas pour y prétendre : « Il faut être pur, c’est-à-dire prouver que ses parens et ses ancêtres jusqu’à la troisième génération ont vécu exempts de tache. » La profession de philosophe est si