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que ces jouissances sont fugitives, et qu’on va bientôt les perdre n’est pas la moindre marque de l’admiration qu’ils nous inspirent. On n’a ni ces satisfactions, ni ces craintes avec Wagner. Comme le remarquait le critique de la Gazette d’Augsbourg, « la résignation est la plus utile des vertus pour son auditoire. » Quelles que soient d’ailleurs sa patience, et sa bonne volonté, elles ne sauraient tenir devant les épreuves qui l’attendent. Cette mélopée impitoyable qui se poursuit incessamment avec des raffinemens cruels de longueur et de tapages finit par avoir raison des attentions les plus héroïques. Non, quoi qu’en ait dit un bon juge[1] en appréciant avec une sanglante impartialité ces prétendues fêtes de Bayreuth, non ce n’est pas là « de l’ennui sans phrase ; » c’est tout au contraire de l’ennui lentement distillé à haute dose, un ennui dont il faut traverser tous les cercles : lasciate ogni speranza, voi ch’intrate. On attend, on soupire vainement après quelque mélodie ; on accueillerait avec reconnaissance les moindres bribes d’un chant simple, facile, élémentaire. On rêve de Haydn et de Mozart, comme on doit rêver d’eau dans le désert, Quand on sortait de ces séances (chacune ne durait guère moins de six heures !) dans un état de prostration intellectuelle et physique bien explicable, le seul contentement qu’on pût connaître c’était d’avoir brisé sa chaîne, de respirer librement à l’air et de chercher dans le silence un repos qu’on avait trop bien mérité !

En vain quelques rares fanatiques, amis imprudens du maître, doués sans doute d’une force de résistance supérieure, essayèrent ils discrètement, non de combattre, mais d’atténuer ces impressions franchement accusées de lassitude et de déconvenue. A ceux qui objectaient cette vieille prétention des auteurs incompris que pour juger cette musique et pour oser en parler il fallait l’entendre plusieurs fois afin de la connaître à fond, il était trop aisé de répondre que pour entendre deux fois un ouvrage il faudrait du moins qu’une première audition en inspirât le désir. Une telle perspective eût exaspéré même les plus doux. Aussi, quand le dernier jour des représentations, avec cette robuste admiration de lui-même que rien ne peut entamer, Wagner s’adressant à la foule réunie ne trouva à lui dire que ces paroles : « Et maintenant que vous avez vu ce que nous pouvons, il vous suffit de vouloir ! quand vous l’aurez voulu, alors nous aurons un art allemand ! » le propos parut dur. Après tant de sacrifices, de dérangemens et de fatigues, au lieu de remercîmens, c’étaient de nouvelles réclamations qui se produisaient en vue de réclusion encore une fois différée du grand art. Cette fois la mesure était comble ; l’épreuve fut réputée suffisante. La cause était jugée sans appel.

  1. Nüchterne Briefe aus Bayreuth ; par R. Lindau.