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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/179

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touche et d’invention dont Mendelssohn et Weber en musique, et Shakspeare dans la littérature dramatique ont laissé des modèles qui rendent les comparaisons dangereuses. En s’autorisant des libertés reçues en pareille matière pour se laisser aller aux invraisemblances et aux caprices les plus étranges, sans avoir toujours la poésie pour excuse, en négligeant tout enchaînement logique et multipliant comme à plaisir les impossibilités ; en appuyant lourdement là où il aurait fallu glisser, en risquant, sous prétexte de comique, des plaisanteries qui n’étaient que triviales et dont l’allitération ou d’excessives familiarités avec la langue faisaient le plus souvent les frais, en hasardant enfin pour nous peindre l’amour, comme dans sa Walkyrie par exemple, des scènes d’un cynisme et d’une crudité extrêmes, Wagner montrait assez qu’il manquait des qualités requises pour se tirer avec honneur des données bizarres qu’il avait choisies. Il visait au grandiose et au sublime, il n’esquivait pas toujours le ridicule[1].

Si du moins la musique avait racheté des taches qui sautaient aux yeux les moins exercés, on eût été indulgent ; mais parce qu’on y retrouvait la plupart des défauts du poème, elle ne faisait guère que les accentuer encore. On y reconnaissait sans doute le talent habituel du compositeur, cette richesse d’instrumentation, cette entente des sonorités, cette science de l’orchestre et de la déclamation qui lui appartiennent ; mais à la longue, de tels mérites, si grands qu’ils fussent, s’effaçaient devant l’absence complète de mélodie ou la puérilité de certaines harmonies descriptives, et surtout devant les longueurs interminables de récitatifs qui se succèdent incessamment et dont Wagner semble vouloir épuiser pour nous la monotonie. L’abus des combinaisons matérielles et l’intempérance des procédés ne font que rendre plus évident chez lui le manque d’inspiration. A quoi servait de briser des formes conventionnelles, nous le voulons bien, mais admises dans l’art parce qu’elles s’accordent avec son développement le plus libre, si c’était pour les remplacer par d’autres conventions offrant à l’expression musicale de bien moindres ressources ? En quoi ces prétendues entraves avaient-elles paralysé l’originalité des maîtres, et qu’avait-on gagné à s’en affranchir ?

Une des impressions les plus naturelles qu’on éprouve en écoutant les œuvres des grands compositeurs, c’est le désir de voir se prolonger les jouissances qu’on goûte à les entendre. Le sentiment

  1. Ajoutons que quelques-uns des monstres ou des animaux mécaniques qui composent la ménagerie des Niebelungen ne fonctionnèrent pas avec la gravité ou la régularité nécessaires, et que le char traîné par deux béliers ainsi que l’ours procurèrent à l’auditoire quelques momens de douce gaieté. Récemment encore, à Leipzig, le chanteur qui remplissait le rôle de Siegfried a été échaudé par un jet d’eau bouillante qu’au lieu de vapeur le dragon lui a lancé.