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la tête, il n’a pas eu de repos qu’il ne m’eût lui-même visité la tête de tous côtés. Enfin, ayant trouvé que j’avais dit vrai, il me conduisit dans ma chambre, resta encore quelque temps auprès de moi pour voir si je ne m’évanouirais pas ; enfin il ne retourna au vieux château que lorsque je lui eus assuré derechef que je ne ressentais pas le moindre mal. » À cette époque en effet la faveur que le roi témoignait à Madame a dû être très marquée, car elle la mit à la mode. Étant sortie avec une vieille zibeline un jour qu’il faisait froid, chacun s’en fit faire une sur ce patron, et ce fut durant un temps la très grande, mode de porter « des palatines. » Mais Madame est loin d’être éblouie de cette faveur royale. À un moment donné, le roi la mêle même, elle et sa tante de Hanovre, à des négociations diplomatiques ; mais elle semble n’avoir déjà plus grande confiance en lui, car elle termine la lettre à sa tante par ces mots : « De quoi s’agit-il ? Je l’ignore ; le roi ne me l’a pas dit, Dieu veuille que ce puisse être quelque chose de bon ! » Peu après en effet elle change de ton tout à fait. Elle appelle ironiquement Louis XIV a le grand homme, » et l’accuse lui et ses ministres d’avoir causé la mort de son père, de papa, dit-elle en oubliant pour la première fois, dans sa douleur, de l’appeler sa grâce. « Je dois vous avouer aussi que vous devinez très juste quand vous dites que ce qui me fait surtout de la peine c’est la crainte que papa ne soit mort de chagrin et le cœur brisé, c’est la pensée que, si le grand homme et ses ministres ne l’avaient pas tant chagriné, nous l’aurions conservé plus longtemps en ce monde et qu’il m’aurait peut-être été donné de le voir encore une fois. »

Quand plus tard et à deux fois on brûle le Palatinat, pour donner le change à sa haine, elle attribue ces mesures à Louvois, et trente ans après, elle se réjouit à l’idée du ministre brûlant en enfer et châtié ainsi des incendies qu’il a ordonnés. Mais sur le moment même, c’est bien le roi en personne qu’elle en accuse. « Dût-on m’ôter la vie, il m’est cependant impossible de ne pas regretter, de ne pas déplorer d’être, pour ainsi dire, le prétexte de la perte de ma patrie. Je ne puis voir de sang-froid détruire d’un seul coup dans ce pauvre Mannheim tout ce qui a coûté tant de soins et de peines au feu prince-électeur, mon père. Oui, quand je songe à tout ce qu’on y a fait sauter, cela me remplit d’une, telle horreur que chaque nuit, aussitôt que je commence à m’endormir, il me semble être à Heidelberg ou à Mannheim, et voir les ravages qu’on y a commis. Je me réveille alors en sursaut et je suis près de deux heures sans pouvoir m’endormir. Je me représente comment tout était de mon temps et dans quel état on l’a mis aujourd’hui ; je considère aussi dans quel état je suis moi-même, et je ne puis m’empêcher de pleurer à chaudes larmes. Ce qui me désole surtout, c’est que le