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LA
CORRESPONDANCE
D'EUGENE DELACROIX

Nous connaissons un homme d’humeur un peu sauvage qui, n’ayant pas de famille, a l’habitude de s’enfuir à la campagne le matin de la Saint-Sylvestre, en emportant avec lui deux ou trois volumes de mémoires ou la correspondance de quelque illustre écrivain ou de quelque grand politique. Il a pour principe qu’on ne peut mieux employer les premiers jours d’une nouvelle année qu’en conversant avec un mort, que rien n’est plus propre à inspirer aux vivans le désir de faire un bon usage de leur vie. S’il nous avait consulté, nous l’aurions engagé à emporter cette année dans son ermitage les lettres de Delacroix, recueillies et publiées par M. Burty ; nous sommes certain qu’il nous aurait su gré de notre conseil[1]. On ne peut trop remercier M. Burty de la pieuse sollicitude avec laquelle il s’est acquitté de sa tâche. Son entreprise était laborieuse et délicate ; il était tenu de contenter la curiosité publique, sans manquer à la discrétion. Peut-être lui reprochera-t-on d’avoir été trop discret. Il mettrait le comble à notre reconnaissance, s’il publiait quelque jour les carnets où Delacroix notait ses souvenirs, ses impressions, ses jugemens sur l’art et sur les artistes. Bien qu’il aimât beaucoup ses amis, il n’était pas homme à se livrer tout entier dans sa correspondance. Il suffit pour s’en convaincre d’aller au Louvre et d’y chercher son portrait peint par lui-même, le fameux portrait au gilet vert. Ce visage aux pommettes saillantes, ce front haut, cette bouche aux lèvres pincées, ces yeux à demi clos, révèlent

  1. Lettres d’Eugène Delacroix, 1815 à 1863. Paris, Quantin, 1878.