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autre manière de timbrer les chèques, peu s’en est fallu que le sénat n’ait été accusé de s’insurger contre les institutions, d’usurper les droits de l’autre chambre, de vouloir à tout prix réveiller les conflits. Il faudrait cependant s’expliquer une bonne fois sur ces abus de langage et sur cette manie de voir partout des conflits. Qu’on juge aussi sévèrement qu’on le voudra la majorité qui a dominé ; jusqu’ici dans le sénat et qui n’a été qu’une coalition impuissante de partis vaincus, qu’on demande aux élections du 5 janvier une majorité nouvelle, favorable à la république, décidée à maintenir ou à rétablir, comme on dit, « l’harmonie des pouvoirs, » soit, c’est une autre question ; mais les droits, les prérogatives, les attributions du sénat, ne dépendent ni du scrutin du 5 janvier, ni même de la couleur de la majorité ; ils sont, ils doivent rester hors de toute contestation, et c’est en vérité assez puéril de crier aussitôt au conflit, à la violation de la constitution, parce qu’il y aura une dissidence entre les deux chambres, parce que le sénat aura voté 200,000 francs de plus pour les desservans ou un timbre particulier sur les chèques. Si les deux chambres ne peuvent pas avoir des opinions différentes sans être considérées comme ennemies et sans qu’il y ait conflit, ce qui est toujours un péril, à quoi bon avoir deux assemblées ? Cette divergence dont on se plaint, elle est dans la nature des choses, elle est la condition des régimes parlementaires, et, pour ainsi dire, la sève des institutions libres ; elle est une garantie dans les affaires de finances comme dans toutes les autres questions, plus encore peut-être dans les affaires de finances que dans les autres questions, et s’il y a entre les deux assemblées une distinction de droits, la constitution elle-même la définit en disant simplement : « Le sénat a, concurremment avec la chambre des députés, l’initiative et la confection des lois. — Toutefois les lois de finances doivent être en premier lieu présentées à la chambre des députés et votées par elle. »

Tout ce qu’on pourrait conclure de là, c’est qu’à la rigueur le sénat ne peut pas de son initiative propre introduire dans la loi de finances des impôts nouveaux, des services imposant des dépenses nouvelles ; mais ce serait à coup sûr interpréter étrangement la constitution que de prétendre le dépouiller du droit de révision, de correction ou d’amendement dans un budget qui n’est que l’application des lois générales et permanentes du pays. Où voit-on surtout que la priorité de la présentation des lois de finances à la chambre des députés implique la subordination forcée du sénat, qu’elle ne laisse au sénat que le rôle d’une chambre d’enregistrement stérile et banal ? S’il en était ainsi, ce serait le monde renversé ; on arriverait tout simplement à annuler, dans les questions les plus graves, l’autorité du corps politique qui est censé réunir le plus de lumières, le plus de maturité, le plus d’expérience des affaires, — et c’est alors que la constitution serait réellement dénaturée : il ne resterait plus en réalité qu’une seule assemblée