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un portraitiste, en oubliant volontiers ses grands compositions. Ne reprochons point au génie français, tout de clarté, sa propension à la synthèse. À force de voir tous les côtés d’une chose sans chercher à en comprendre et à en exprimer le caractère dominant, le génie allemand arrive trop souvent à ne plus rien voir du tout Nous ne nions pas la valeur des autres œuvres d’Holbein, mais c’est le portrait qui est la manifestation souveraine de son génie, il y a de l’invention, du mouvement, de la fantaisie décorative dans ses figures de la Passion, dans ses cartons pour l’hôtel de ville de Bâle, mais il n’atteint là ni au grand style de Mantegna, ni à la noblesse et à la raide élégance d’Albert Durer, toute l’illustration de l’Éloge de la Folie, qui d’ailleurs fut toute fortuite, — ces dessins furent faits en huit jours sur les marges du livre qu’Holbein lisait, — n’est qu’une suite de caricatures vulgaires de formes et assez lourdes d’esprit. Dans les Simulacres de la mort, il a renouvelé heureusement les vieux bois des premières impressions du XVe siècle, en variant les attitudes, en groupant mieux les figures, en en précisant d’un trait sûr les squelettes et les vivans ; mais, ce n’est qu’une paraphrase. Le Saint Michet, le Christ mort, les Lansquenets, sont des exceptions dans son œuvre. Holbein est avant tout un portraitiste. Dans le portrait il a des rivaux, il ne connaît point de maître. C’est comme portraitiste qu’il a sa place dans l’Olympe des dieux de la peinture.

La réunion en un beau volume illustré d’eaux-fortes et de bois d’après les tableaux et les croquis d’Eugène Fromentin, de l’Eté dans le Sahara et de l’Année dans le Sahel, serait l’occasion de faire la double étude du peintre et de l’écrivain. Dans la manière de dire comme dans la manière de peindre, Eugène Fromentin a des qualités analogues de finesse, de délicatesse, de perception profonde et d’expression juste. C’est, si on peut dire, un peintre et un écrivain de nuances. Il excelle à rendre par la plume comme par le pinceau les dégradations des loin tains horizons, les vibrations, infinies de la lumière, les variétés et les différences des clairs obscure. Qu’il écrive ou qu’il peigne, il procède par gradations et par frottis. Il n’a point la touche large, mais son pinceau a d’exquises caresses, sa plume des expressions d’un indicible sentiment. Écrivain, il est moins peintre au sens absolu du mot, que Théophile Gautier, en ceci que Gautier fait voir l’objet ou le paysage qu’il décrit, au lieu, que Fromentin en donne l’impression. Peintre, il est moins puissant et moins hardi, que Decamps et Marilhat, en ceci que Decamps et Marilhat ont osé peindre l’Orient dans son type général, dans son expression embrasée, tandis que Fromentin a surtout peint l’Afrique dans son caractère exceptionnel, et dans son état, particulier de limpidité humide. D’ailleurs Eugène Fromentin est un écrivain de race et un maître parmi les orientalistes.

Gustave Doré s’est fait le commentateur à coups de crayon des grands