chefs-d’œuvre du génie humain. Après le Pantagruel la Bible, après la Divine comédie le Don Quichotte. Plug d’un fleuron manque encore à cette couronne d’in-folio : Homère, le Tasse, Shakspeare, Molière. Nous ne désespérons pas de la voir un jour achevée. Voici déjà le Roland furieux, cette merveilleuse épopée héroï-comique. Il était bien fait pour tenter le talent de Doré, ce poème féerique comme les Mille et une Nuits, épique comme l’Iliade, amusant et varié comme le Décaméron, railleur comme un conte de Voltaire. L’Arioste, avec un sans-façon adorable, mêle l’histoire et la légende, le sacré et le profane, confond les époques et les pays, les usages et les costumes, fait assiéger Paris par les Sarrasins, arme les guerriers du VIIe siècle de l’armure maximilienne, transforme Charlemagne et ses pairs en seigneurs de la cour de Ferrare, peint Rodomont, roi d’Alger, en chef de bande, comme le marquis de Pescaire ou Prospero Colonna, donne à son héros Roger le caractère d’un Bayard sans peur et sans reproche, et n’a pas l’air de croire un mot de ce qu’il raconte. M. Gustave Doré, qui dans ses illustrations du Dante, de la Bible, de Cervantes, avait maîtrisé sa verve inventive, a interprété le Roland furieux à la manière de l’Arioste lui-même. Il est revenu au pittoresque à outrance, à la fantaisie endiablée de ses dessins des Contes drolatiques et de la Légende du Juif-Errant. Les architectures compliquées des burgs gothiques sont suspendues comme des nids d’aigles aux flancs des monts escarpés. Les grands arbres des forêts dénudés par l’hiver prennent dans les enchevêtremens de leurs ramures des apparences de spectres. Les cavernes se peuplent de monstres qui ont les formes invraisemblables des animaux antédiluviens. Au seuil des palais enchantés se pressent des moines obèses, des nains difformes, des gnomes hideux et d’horribles sorcières
- Dont la barbe fleurit et dont le nez trognonne.
Au passage des chevaliers, la foule grouille dans les rues d’Orient, s’entasse aux fenêtres, se juche sur les gargouilles, s’amasse en grappe humaine le long des flèches des minarets. Dans les tournois, dans les batailles, dans les assauts, les chevaux volent plus qu’ils ne courent, des gerbes de flèches sillonnent l’air, les têtes coupées et les bras tranchés volent de droite et de gauche, les corps sont transpercés d’outre en outre par les lances ou pourfendus jusqu’au nombril par les grandes épées. Doré va souvent jusqu’à la caricature, mais c’est de la caricature héroïque.
HENRY HOUSSAYE.
Le livre que M. Decharme vient de publier sous ce titre est d’une science plus solide, plus sûre, plus voisine des monumens et des textes