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que n’est d’ordinaire l’érudition un peu superficielle des Manuels de mythologie. Ce n’est pas seulement un de ces dictionnaires que l’on consulte et que l’on s’empresse de refermer. Ce n’est pas seulement, quoiqu’il paraisse dans le format et sous la forme d’un livre d’étrennes, un volume à feuilleter pour les images. C’est un livre à lire. Disons même que les images ne satisfont l’œil qu’à moitié. Le texte eût mérité mieux que cette maigre illustration. Et l’auteur assurément aurait droit de se plaindre du graveur, si l’art antique ne se suffisait à lui-même, et s’il n’était facile, même à travers une médiocre traduction, d’en ressaisir la beauté. Personne aujourd’hui n’ignore les progrès récens des études mythologiques. C’est à l’Allemagne que revient l’honneur de les avoir constituées, comme aussi de les poursuivre avec un zèle infatigable. M. Decharme s’est proposé de dégager de ces travaux, dépouillés de tout leur appareil philologique, archéologique, voire quelquefois soporifique, un ensemble de notions claires, précises, mises en ordre, sur les dieux de la Grèce. On le louera surtout de n’avoir pas oublié qu’une exposition de la mythologie grecque est inséparable de l’histoire sommaire de l’art hellénique. Nous ignorons l’origine des mythes, nous ne saurions dire comment s’est peuplé le panthéon des religions antiques. On a proposé force théories : toutes ont semblé contenir une part de vérité, d’ailleurs aucune n’a pu suffire à l’interprétation de toutes les légendes. Mais ce que nous savons, c’est que toutes ces légendes n’ont reçu leur consécration que des chefs-d’œuvre de l’art et de la poésie. Ce que nous pouvons dire, c’est qu’elles seraient pour nous des songes de malades, quelque chose de puéril et d’immoral en même temps, si le génie d’une race privilégiée entre toutes ne les avait élevées et purifiées. Elles ne sont devenues un patrimoine classique pour les peuples modernes que parce qu’elles ont inspiré son Achille au poète inconnu de l’Iliade, son Œdipe à Sophocle, ou encore à Phidias son Jupiter, et sa Vénus à Praxitèle.

Il reste à souhaiter que1 le livre de M. Decharme fasse un heureux chemin dans le monde. Tout utile qu’il soit, il ne laisse pas d’être intéressant à lire. S’il réussissait, sous une forme un peu réduite, à s’introduire dans nos écoles, on y pourrait faire connaissance avec les dieux de la Grèce autrement que par le moyen de quelques notes au bas d’une page de l’Iliade. Le progrès ne serait certes pas à dédaigner pour ceux qui se flattent que nous ne sommes pas près de nous lasser des fables qui bercèrent l’antiquité. L’éducation de l’honnête homme aujourd’hui, comme jadis, est à ce prix.


Le directeur-gérant, C. BULOZ.