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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/305

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de 1854 et la chute de la reine Isabelle en 1868. Il a réussi à exposer avec clarté l’imbroglio confus de ce long drame de cape et d’épée qui n’a d’héroïque que le court intermède de la guerre du Maroc, et la tâche n’était point facile, tant cette mêlée étroitement pressée de révolutions sans scrupules et de réactions sans bon sens supporte difficilement d’être expliquée et racontée selon les lois de la logique ordinaire. C’est la marque d’une habileté peu commune que d’être parvenu à nous intéresser à un spectacle devant lequel il est impossible de se prendre d’une sympathie quelconque pour aucun des acteurs. Une monarchie sans sincérité sérieuse, obligée chaque soir à des promesses qu’elle essaie de reprendre chaque matin, une armée sans discipline générale dont chaque régiment n’attend pour menacer la paix sociale que le signal d’un colonel mécontent, des partis qui se conduisent comme des factions, des ministres qui agissent comme des conspirateurs, des volte-face sans vergogne, des ambitions effrénées, instruites dans l’art de provoquer les pouvoirs parle spectacle populaire des combats de taureaux, irritant avec une immorale habileté le gouvernement pour le faire se précipiter sur l’épée dont ils lui présentent la pointe, un peuple qui regarde avec une méprisante indifférence passer au-dessus de sa tête les crises politiques en se disant : Ce sont jeux d’ambitieux, tels étaient les élémens du tableau qu’avait à nous présenter M. de Mazade, et l’on conçoit qu’il l’ait peint avec des couleurs quelque peu sombres. Le ton général du livre, en effet, est celui d’une tristesse calme, sans sévérité comme sans indulgence, et c’était bien le sentiment que comportait une histoire trop féconde en épisodes coupables pour ne pas lasser le blâme et trop peu riche en faits sympathiques pour stimuler la louange.

L’Espagne contemporaine est généralement peu populaire devant l’opinion européenne, et les libéraux eux-mêmes ne lui ménagent pas les duretés. M. de Mazade ne donne pas dans ce travers, et, tout en déplorant les misères du présent, il ne s’en autorise pas pour refuser, comme on le fait trop souvent, tout avenir à ce noble et malheureux pays. Il n’y a en effet d’ordinaire, à notre avis, ni justesse ni justice dans ces jugemens excessifs. Les contemporains ont nécessairement la vue courte parce que leur vie s’écoule entre des limites singulièrement étroites. Une anarchie de quarante années suffit certainement pour expliquer le pessimisme de ceux qui en sont spectateurs, qu’est-ce cependant que ce laps de temps dans la destinée générale d’un peuple ? La longueur d’une telle durée n’est que pour les témoins vivans. L’histoire, même sommairement interrogée, ne nous répond-elle pas que les divers peuples de l’Europe ont souffert maintes fois de crises semblables à celle qui tourmente