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l’Espagne et qu’ils s’en sont heureusement relevés ? Écartons les faits d’importance capitale, les mouvemens d’idées et de croyances qui expliquent tout naturellement les longues périodes d’anarchie, comme les guerres anglaises, les guerres de religion, la révolution française, pour nous en tenir aux faits plus analogues à la crise espagnole contemporaine par le caractère mesquin de leur principe et la futilité relative de leur but. Est-ce que les troubles civils qui ont tenu la France dans un état d’anarchie intermittente depuis la mort d’Henri IV jusqu’à la majorité de Louis XIV n’embrassent pas une période de cinquante ans ? Questions de régences, rivalités des princes, ambitions privées prenant le masque du bien public, ce sont les mêmes faits avec les différences que comportent les deux époques et les deux pays. La riche et politique Angleterre n’a-t-elle pas dans son passé une période qui offre des ressemblances plus étroites encore avec la période que traverse l’Espagne actuelle ? La guerre des deux Roses entre les maisons d’York et de Lancastre vaut certainement la guerre civile issue du testament de Ferdinand VII. Les troubles de la minorité d’Henri VI peuvent aisément entrer en comparaison avec les troubles de la minorité d’Isabelle. Marguerite d’Anjou ne le cède pas à Christine, Richard d’York et ses fils, comme prétendans ambitieux, ne le cèdent pas à Montemolin et à don Carlos, Warwick, Suffolk, Buckingham tiennent leur rang en face de Narvaez, Espartero, Cabrera, O’Donnell, les compagnons de Jack Gade ne sont même pas d’ordre inférieur aux récens pétroleurs de Cadix et de Carthagène, et quant à Richard III, en dépit de la férocité dont les partis s’accusent mutuellement, il va sans dire que l’Espagne moderne n’a pas de monstre pareil à présenter. Cette lutte à outrance entre les compétiteurs royaux, en la faisant commencer seulement à la minorité d’Henri VI, a duré soixante ans, et cependant elle se présentait d’une manière simple, tandis que la rivalité des deux branches de la maison d’Espagne se complique de toutes les questions que l’esprit du temps y mêle. Eh bien, je le demande, lorsque nous nous autorisons de l’état présent de l’Espagne pour conclure contre l’avenir de ce pays ne sommes-nous pas aussi peu clairvoyans que l’auraient été les contemporains de la guerre des deux Roses qui se seraient autorisés de ce spectacle immoral et.atroce pour désespérer de l’Angleterre ?

Parmi les causes très complexes qui maintiennent l’Espagne dans l’état d’anarchie intermittente où nous la voyons, il en est une sur laquelle M. de Mazade insiste judicieusement à mainte reprise. L’individualisme. L’individualisme a toujours été puissant en Espagne ; seulement, tandis que dans le passé il a été le principal instrument de la grandeur nationale, il est aujourd’hui le fléau de la