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de l’Italie une patrie par le moyen de son royaume, au lieu d’agrandir son royaume aux dépens de l’Italie comme ses prédécesseurs. Cavour ne fut que l’exécuteur de cette pensée royale, mais il le fut avec une fermeté, une décision et une fidélité admirables, jusque dans îles actes de sa politique que ses adversaires lui reprochèrent avec le plus de violence, par exemple cette cession de la Savoie et de Nice qui souleva de si grands orages dans le parlement de Turin, et qui n’était cependant, à la bien considérer, que le gage le plus fort de sincérité que le Piémont pût donner à l’Italie. Si jamais acte fut significatif, ce fut bien celui-là, et si l’on conçoit que des Piémontais en aient ressenti quelque amertume, on comprend plus difficilement que des Italiens s’y soient mépris, car que disait-il au fond sinon ceci : « Voyez, nous avons coupé les câbles qui nous rattachaient à une politique locale et restreinte, nous voilà maintenant hors de chez nous sans autre abri que la patrie encore en formation que nous nous efforçons de vous donner. Désormais c’est avec l’Italie et pour l’Italie qu’il faut vivre et mourir ; si vous périssez, nous périssons avec vous. » Cavour ne donna pas seulement aux Italiens une patrie commune, il leur donna un nouvel esprit, et c’est là la partie tout à fait personnelle et originale de son œuvre. Pour exécuter son entreprise en effet, il n’eut recours à aucun moyen machiavélique ou pervers à l’ancienne mode italienne, il ne sema pas la corruption et la vénalité à l’instar des fondateurs du régime constitutionnel anglais, il n’employa pas l’arbitraire et la force à l’instar des champions de l’ordre chez tous les peuples. Ce qu’il fit, il le fit honnêtement, sans tortuosités ni duplicités, simplement, sans jeux de scène parlementaires, allures théâtrales, hyperboles déclamatoires à la mode méridionale, ouvertement, sans intrigues à double et triple fond ni façons de conspirateur. En même temps que par sa personne il offrait à l’imitation des Italiens les vertus des pays libres, il leur donnait, en étendant le régime piémontais à toute la péninsule, le gouvernement qui les avait inspirées, et il faisait rentrer de plain-pied l’Italie dans les rangs des nations modernes. D’un seul coup, il fermait les deux plaies qui rongeaient l’Italie, la prolongation malfaisante de l’ancien régime et la politique de conspiration. D’une part il effaçait de l’Italie tous ces caractères surannés qu’elle présentait avant l’indépendance, esprit local dès longtemps sans objet, stériles orgueils de clocher, conservatisme béat, machiavélisme d’antichambre, de l’autre il la retirait de l’état somnambulique où elle vivait sous l’action des sociétés secrètes pour lui faire respirer l’air pur et vivifiant des institutions au grand jour. A tous ces titres, Cavour fut plus qu’un grand politique, et mérite d’être appelé un bienfaiteur de l’Italie, car il lui a inoculé le vaccin