Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/318

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la vraie liberté, l’a purgée de ses pestes morales, a redressé ses habitudes vicieuses, et lui a fait en un mot une éducation en rapport avec ses destinées nouvelles.

La belle étude de M. de Mazade nous fait connaître dans toutes ses nuances ce personnage remarquable, et il nous suffira d’en rassembler quelques traits pour faire apparaître une figure singulièrement originale. Ce fut une nature très simple, mais d’une simplicité fort nuancée, d’une finesse profonde habilement masquée de rondeur et d’une droiture réelle prudemment armée d’adresse. Aristocrate de vieille roche, il eut en lui un certain élément populaire qui se traduisait par une bonhomie toute bourgeoise et qui le rendit capable d’être le chef acclamé d’un mouvement où la démocratie jouait un rôle prédominant ; très Italien de fond et de passion, il fut cosmopolite par sa forme d’intelligence, son tour d’esprit, son expérience politique, son langage diplomatique, et sut par là faire accepter son œuvre à l’Europe. En dépit de ses origines, de son éducation, de ses alliances, rien chez ce gentilhomme ne se sentait du passé ; il a été vraiment en politique le premier Italien tout à fait moderne. Mâle sans rien d’agressif, fier sans rien de hautain, ferme sans rien de cassant, dominateur sans rien d’arrogant, il sut réussir parce qu’il sut, à l’inverse de la plupart des hommes, n’avoir aucun des défauts de ses qualités. Il eut de l’esprit, et du meilleur, témoin le mot si souvent cité sur les ménagemens que méritent les petites cartes, mais il n’eut jamais cette faiblesse qu’on a connue à tant d’hommes éminens d’être puérilement heureux de la séduction facile qu’exerce ce don brillant. Il ne se piquait pas de littérature, quoiqu’il fût, paraît-il, grand lecteur de (romans. Nous ne savons trop ce qui en était à cet égard ; ce qui est certain, c’est que les billets à Mme de Circourt, que nous lisons dans l’étude de M. de Mazade, sont aussi charmans par les sentimens que gracieusement polis par le tour, ce qui est non moins certain, c’est que le discours par lequel, lors des débats sur la cession de la Savoie, il répondit à l’inexacte comparaison que Guerrazzi avait établie entre sa politique et celle du premier lord Clarendon, est l’œuvre d’un maître homme et trahit une connaissance de l’état des partis sous Charles II d’Angleterre qui ferait honneur à l’historien le plus studieux. Le temps marche vite pour les renommées politiques, et cependant, vu à la distance où nous sommes aujourd’hui de lui, Cavour grandit au lieu de diminuer, et il dépend de ses successeurs de le grandir encore. A l’heure qu’il est, l’avenir de sa renommée est entre leurs mains, car c’est sur l’usage qu’ils sauront faire de son œuvre que la postérité, puissance ingrate qui ne se laisse influencer que par les choses de longue durée, prendra définitivement la mesure de sa taille.