créations vicieuses ? Il y a nombre de courtisanes qui sont l’élégance même, cette élégance fut-elle jamais par hasard une justification de leurs mœurs ? » Personne, à ma connaissance, n’a eu à un degré plus délicat que M. de Mazade ce sentiment de la responsabilité intellectuelle ; or, comme ce sentiment est peut-être le plus haut qu’un écrivain puisse posséder, il suffit de le nommer pour dire à quel rang M. de Mazade doit être placé parmi les juges des œuvres de l’esprit.
Une grande probité ne va pas toujours sans quelque morgue et quelque dogmatisme ; chez M. de Mazade au contraire la probité intellectuelle s’allie à une modestie qui en est la grâce et le complément. La sévérité qu’il applique aux œuvres d’autrui, il commence par l’exercer sur ses propres jugemens, s’interdisant de leur donner aucune de ces formes tranchantes qui font mettre en doute si l’orgueil de l’autorité n’est pas plus fort chez l’écrivain que l’amour de la vérité. Il ne s’impose pas, il propose et il expose, considérant son devoir comme rempli lorsqu’il a prévenu son lecteur contre quelque piège intellectuel ou quelque erreur morale. De même qu’il se refuse à tout dogmatisme impérieux, il défend à son esprit tout artifice oratoire qu’il ne pourrait se permettre qu’aux dépens de la stricte justice ou toute fantaisie qui le mettrait hors de la stricte exactitude. Il se consacre sans réserve à son sujet, sans égoïste retour sur lui-même, s’efforçant de saisir dans toute sa complexité l’œuvre qu’il examine ou l’homme qu’il veut peindre. Cette modestie scrupuleuse l’inspire à merveille. Lisez par exemple dans les Portraits d’histoire morale la très belle étude sur le comte de Montalembert, et dites si la critique dogmatique la plus vigoureuse aurait mieux réussi à atteindre l’homme vrai que ne l’a fait M. de Mazade en rassemblant toutes les contradictions de cette originale personnalité. Lisez encore la non moins belle étude sur M. Guizot, et dites s’il est possible d’embrasser avec une plus impartiale justesse toutes les grandeurs et toutes les faiblesses d’une haute pensée. Il ne faudrait pas croire que cette modestie soit sans armes. Elle recouvre une ironie souvent très fine qu’il n’aime pas à prodiguer, mais qu’il sait faire sortir à l’occasion pour bien montrer qu’il n’est pas dupe et qu’il n’a pas envie de l’être, témoin par exemple cette très piquante définition des doctrinaires dans l’étude déjà citée sur M. Guizot : « Hardis d’intelligence et habiles à déguiser leurs irrésolutions sous l’ampleur des formules, superbes pour eux-mêmes et modestes pour les autres. » Certes le trait est excellent. De l’ironie, j’en rencontre encore de bien subtile et de bien discrète dans le portrait consacré à Mme Swetchine, de bien gracieuse et de bien enjouée dans les pages consacrées à Mme de