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costumes vénitiens du XVe siècle, et c’est là un document inappréciable comme tentative d’art réaliste chez les Byzantins. À côté, une Vierge entourée de femmes est seulement ébauchée au trait de fusain, avec une sûreté et un naturel irréprochables.

Après deux journées consacrées à l’étude de ces reliques, nous redescendons au village de Kalabaka, blotti dans la gorge tourmentée qui s’ouvre au pied des Météores. C’est ici que vint échouer misérablement, en 1854, la prise d’armes des volontaires helléniques.

De Kalabaka part la route qui mène dans les montagnes d’Épire. Je comptais la suivre jusqu’à Janina ; mais en Thessalie l’homme propose et la fièvre dispose. Je n’avais pas encore payé mon tribut à cette pâle souveraine de la province ; comme nous rentrons à Trikkala, elle me retient sur le divan de la véranda, seul lieu habitable dans l’évêché par cette chaleur torride. Mon voyage prendrait-il une direction par trop classique ? J’ai déjà passé le Léthé, et à quelques lieues d’ici, dans la première vallée du Pinde, coule l’Achéloüs, le fatal Achéron. Je ne le franchirai pas, s’il plaît aux dieux, et je ne pense plus qu’à regagner Volo et la mer, en m’éloignant des fleuves de l’Érèbe. Je discute mon itinéraire avec mes hôtes ; deux routes s’offrent à moi : l’une, que j’ai déjà faite en partie, par Zarkos et Larisse, l’autre par Karditza et la plaine de Pharsale, plus directe en apparence ; mais en ce pays la ligne droite est rarement le plus court chemin d’un point à un autre. On m’assure que cette route est impraticable même à l’araba, voiture primitive contre laquelle je dois désormais troquer mon cheval. En outre, une bande de brigands, commandée par un lieutenant de Sotiri, a détroussé ces jours derniers le village de Karditza, et opère autour de Pharsale, sur l’échiquier de César. Il y a quelque temps que je n’avais plus entendu parler des brigands ; les voici qui reviennent sur le tapis, et, comme ils tiennent autant de place que la quinine dans les conversations de mes hôtes, il est juste d’étudier de plus près cette institution.

Le banditisme est depuis longtemps un mal endémique dans ces provinces : bien des causes assurent son recrutement, la configuration du sol, les émigrations de tribus circassiennes, la misère grandissante, la surcharge des impôts, le licenciement mal réglé des troupes irrégulières. Après une mauvaise récolte, plus d’un paysan, à bout de ressources, traqué par les agens du fisc, prend un fusil et gagne la montagne ; arrivent d’autre part des Albanais renvoyés du service sans avoir pu toucher leur paie : une bande se forme, attend l’occasion et fond sur un village de la plaine. Le village est frappé d’une contribution de guerre calculée sur sa population ; s’il ne s’exécute pas, les riches notables sont emmenés en otages. On