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voit que les choses se passent suivant les règles de l’art militaire. Plusieurs communes et des habitations isolées échappent à ces razzias en composant d’une manière permanente avec les klephtes, en leur fournissant des vivres et un abri à l’occasion. Le paysan semble être pour eux, moins par suite d’une complicité morale que par l’effet de la terreur qu’ils font peser sur les campagnes. S’ils s’abstiennent généralement d’actes de violence, ils sont impitoyables pour toute dénonciation prouvée ; dernièrement, dans un village de Macédoine, un prêtre, qui avait mis la police sur la trace d’une bande, a été pris et coupé en morceaux.

Tel est le régime qui désole, avec des intermittences, plusieurs provinces de Roumélie. En Thessalie, ce fléau a pris un caractère aigu, grâce à la proximité de la frontière de Grèce, qui assure aux bandits des facilités particulières. Cette frontière est assez confusément tracée par la chaîne abrupte des monts Othrys ; les contestations de limites et les différends de toute sorte ne sont pas rares, on le sait, entre les deux états voisins. A la faveur de ce manque d’harmonie entre les autorités-frontières, les klephtes travaillent à cheval sur les deux pays ; sont-ils trop vivement poursuivis en Turquie, ils passent de l’autre côté de la ligne avec l’espoir d’y trouver un accueil moins cruel ; quand leurs méfaits ont lassé la patience grecque, ils reparaissent dans la Thessalie turque. Il y a un an, cet état de choses était devenu tellement intolérable que la Porte se décida à conclure une convention avec la Grèce pour la répression du brigandage ; elle fit mieux que de signer un protocole, elle envoya un homme pour l’exécuter, le général Méhémet-Ali-Pacha[1]. Cet officier, d’origine allemande et de sang français, car il porte le nom d’une famille chassée de notre pays par la révocation de l’édit de Nantes, est arrivé tout jeune à Constantinople dans des circonstances qui tiennent du roman plus que de la vie réelle. Il embrassa l’islam, prit du service et s’éleva rapidement à une haute situation, très méritée, comme on en jugera par ce qui suit. Avec l’apparition de ce nouveau gouverneur, les choses changèrent de face en Thessalie. Il frappa pour ses débuts un coup d’éclat : à la suite d’une action combinée avec les troupes helléniques, Tako Arvanitaki, le sinistre héros de Marathon, fut cerné à Agrapha et fusillé sur place. Comme on venait de le passer par les armes, les assistans se précipitèrent en désordre sur son corps : quand on le releva, on ne trouva sur lui aucun des papiers qu’on espérait saisir et qui eussent jeté quelque lumière sur le drame mystérieux de Marathon. Comme toutes les célébrités, Tako Arvanitaki avait sa légende et ses partisans. Il exprimait ses regrets de la

  1. Le même qui fut depuis généralissime des armées turques, plénipotentiaire au congrès de Berlin, et qui vient de périr si tristement en Albanie.