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seule pouvait sauver les princes chrétiens, s’était rendu en toute hâte à Woreillou, où l’attendait son armée ; de Woreillou, il s’était porté au-delà de Magdala, dans ses possessions du Edjou, prêt à donner la main à son nouvel allié Kassa et à défendre avec lui pied à pied le sol de la patrie éthiopienne ; mais Kassa n’eut pas besoin de renforts. L’irritation était extrême dans le Tigré ; la haine contre l’Égyptien, le danger de la patrie et de la religion excitaient tous les cœurs. Un premier corps d’armée égyptien, aux ordres du colonel Arendrup, s’était porté jusqu’à Adhkalah ; au jour de la bataille, trois cents prêtres éthiopiens, revêtus de leurs habits sacerdotaux, le tabot en tête, portant les livres saints et chantant des psaumes, s’avancent en bon ordre au-devant de l’ennemi ; ils sont reçus à coups de fusil ; mais à la vue de ses prêtres en péril, de ses livres saints près de tomber aux mains des infidèles, l’armée éthiopienne s’est ébranlée tout entière, elle se rue sur les Égyptiens et, sans s’inquiéter des ravages que font dans ses rangs les armes perfectionnées, elle les enfonce et les écrase. Un second corps d’armée, sous la conduite d’Arakel-Bey, ne fut pas plus heureux ; le troisième, qui ne comptait pas moins de trente mille hommes commandé par Ratib-Pacha et le prince Hassan, le propre Fils du khédive, subit un désastre encore plus complet. La veille de la grande bataille, l’avant-garde de l’armée chrétienne occupait une position fortifiée à portée du quartier général ennemi ; le prince Hassan fait faire des ouvertures au général éthiopien, offrant de l’or pour ménager la poudre ; celui-ci feint d’accepter les propositions ; il quitte avec ses troupes sa position retranchée et vient se grouper dans la plaine auprès des Égyptiens. Johannès Kassa avait le gros de son armée sur les hauteurs qui entourent et dominent la plaine : il est promptement instruit de la ruse de son général ; dans la nuit, un mouvement stratégique s’opère avec un ensemble et une promptitude admirables. Les Éthiopiens allaient nu-pieds, les chevaux non ferrés, selon l’usage. Avant le jour, tous les défilés étaient occupés et la retraite fermée aux envahisseurs ; les rocs à pic, les fondrières avaient été franchis, escaladés sans que le moindre bruit se fût fait entendre, sans qu’une pierre eût bougé. Au signal donné, les Égyptiens, encore endormis, sont attaqués à l’improviste de tous les côtés à la fois et lâchent pied sans résistance ; les Éthiopiens de l’avant-garde, en qui ils avaient cru trouver des auxiliaires, fondent sur le quartier général et s’en emparent. Ce fut alors un horrible carnage ; au matin l’armée égyptienne n’existait plus : seize mille fusils Remington, quarante pièces de canon, tout le matériel et les munitions de guerre restèrent au pouvoir des Éthiopiens. Le prince Hassan fut fait prisonnier avec son état major. Plus tard Kassa consentit à le rendre contre une rançon de 200,000 talaris, mais