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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/414

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partout comme le véritable envoyé du roi de Choa. Le terrain n’était pas moins bien préparé autour du consul général de France au Caire, et quand enfin, sur les réclamations pressantes de M. Arnoux, qu’on retenait à Zeila et dont on supprimait les lettres à la poste, le gouvernement français mettait les Égyptiens en demeure de le relâcher, Abou-Bakr répondait hypocritement que jamais le Français n’avait été plus libre, que personne ne l’empêchait de partir ; seulement, comme il voulait emporter toutes les marchandises avec lui et que ses comandataires s’y refusaient, il était juste d’attendre la réponse du roi à qui on avait tout écrit ; le différend vidé, il pourrait suivre sa route.

Pendant ce temps, seul, sans appui, enfermé dans sa tente au bord de la mer, M. Arnoux assistait à l’écroulement de son œuvre. Toute l’eau qu’on boit à Zeila vient de la station de Tococha, où des indigènes vont chaque matin remplir leurs outres à dos de chameau ; or défense était faite dans toute la ville, sous les menaces les plus sévères, de rien vendre au Français ; il en vint à payer au poids de l’or quelques litres d’une eau saumâtre et un morceau de pain avarié ; plus tard, on réussit à détacher de lui les deux derniers domestiques qui lui avaient été fidèles, et il dut lui-même balayer sa tente et soigner la civette ; malgré tout, son courage ne faiblissait pas.

De leur côté, Abou-Bakr et Raouf-Pacha, spécialement venus de Berberah pour lui prêter main-forte, avaient envoyé courrier sur courrier à Minylik, disant que le Français avait trahi les secrets du roi, qu’il songeait à soulever la guerre entre l’Égypte et le Choa, qu’il avait fait enchaîner à Zeila presque tous les Éthiopiens, qu’il voulait se sauver en Europe avec la marchandise et les présens, qu’enfin le roi devait envoyer des ordres précis, retirer au traître toute sa confiance et prendre Gavré Teklé pour mandataire auprès du khédive, sans quoi de grands malheurs étaient à craindre pour le Choa. Abou-Bakr ajoutait qu’à titre d’ancien serviteur et ami du roi, voyant de près toute la perfidie du Français, il avait usé d’autorité pour le retenir à Zeila jusqu’à la réponse du roi, qui confirmerait sans doute les mesures prises dans son intérêt. Cependant la réponse se faisait attendre, et ce retard déconcertait les conjurés ; elle arriva le 9 novembre, mais accompagnée d’une lettre particulière pour M. Arnoux. Avec son bon sens ordinaire, Minylik disait au pacha : « Je suis très affligé de ce que vous m’avez écrit ; s’il y avait des différends entre M. Arnoux et mes hommes, vous qui vous dites mon ami, pourquoi n’avoir pas concilié les choses ? Quoiqu’il ait, selon vous, trahi mes secrets et qu’il ne veuille plus retourner au Choa, je ne lui retire ni ma parole, ni