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porter contre son sauveur mille accusations diffamatoires. Ne serait-ce pas le cas de rappeler le proverbe arabe, si profond sous sa forme spécieuse ? « Pourquoi me fais-tu du mal ? Je ne t’ai pas fait de bien, moi ! » Plus tard, parvenu au Choa, au lieu d’expliquer la situation que les infamies des Égyptiens avaient créée au voyageur français, Martini le chargea hautement, le traita d’aventurier et réussit à détacher de lui Mgr Massaja, qui, comme Italien, souhaitait avant tout le succès de ses compatriotes ; il finit même par obtenir que le roi approuvât la vente des marchandises, sur laquelle il n’y avait plus à revenir, et le chargeât lui-même de prendre les présens déposés à Aden pour les remettre aux destinataires, au lieu et place de M. Arnoux. C’est ainsi qu’on vit le capitaine se présenter devant le saint-père et le roi d’Italie comme si lui, le premier, il avait ouvert la route du Choa. Pourtant le roi Minylik, entouré d’intrigues et de mensonges, n’était pas bien sûr qu’on ne l’eût point trompé, et voici la lettre qu’il écrivait :

« Minylik, roi des rois d’Ethiopie, à M. Arnoux, notre ami, négociant français :

« Comment te portes-tu ? Pour moi, grâce à Dieu, je me porte bien. J’ai appris par lettre les peines que tu as éprouvées pendant ton voyage et la manière dont tu as été privé même des marchandises qui t’appartenaient personnellement. Pour diminuer ces dommages et vous témoigner mon amitié, je vous envoie quinze dents d’éléphant. S’il vous est possible de venir au Choa, je vous reverrai avec le plus grand plaisir.

« Fait à Litché, ville du Choa, le 17 de tekempt de l’an 1870 de la Rédemption (comput éthiopien). » Ici le sceau du roi.

Cette lettre fut apportée au consulat général de France au Caire, l’ivoire arriva aussi, mais réduit au tiers ; par une dernière friponnerie du pacha, les dents avaient été changées contre d’autres plus petites ; le fait caractéristique de l’amitié et de la bienveillance du roi n’en subsistait pas moins, à la confusion des Égyptiens.

Tout autre aurait plié sous le poids de tant d’épreuves et de mécomptes, mais M. Arnoux semblait puiser dans la lutte une nouvelle force ; d’ailleurs, l’excès même de ses malheurs avait éveillé autour de lui de nombreuses sympathies. Apprenant les allégations que le capitaine Martini, de retour à Rome, avait répandues sur son compte, il les démentit énergiquement, tant auprès de M. le commandeur Correnti que devant l’opinion publique. Lui-même il résolut de quitter l’Égypte, et, renonçant à des revendications inutiles, de poursuivre, malgré la perte des marchandises qui devaient faciliter ses opérations, le but qu’il s’était fixé. Il part du Caire et passe en Italie ; il ne fut pas reçu au Vatican, où Martini l’avait