Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/418

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

où les deux sexes sont séparés. Il y a des marchés d’esclaves au Caire, où on les vend à la criée dans les successions des pachas, et non-seulement au Caire, en Égypte, mais en Syrie, en Palestine. D’autres caravanes se rendent régulièrement à travers l’Ethiopie vers les différens ports de la côte, ainsi à Massaouah, à Zeila, à Berberah ; on peut évaluer à vingt-cinq mille en moyenne le nombre des esclaves amenés, rien que de ce côté, chaque année ; ce sont principalement des Gallas, jeunes garçons et jeunes filles de dix à quinze ans, provenant des marchés de Mettamah et des pays de l’intérieur ; les uns sont des victimes de la guerre, les autres ont été volés à leurs familles. Les esclaves gallas sont extrêmement recherchés dans les villes de l’Arabie, les hommes à cause de leur fidélité et de leur intelligence, les femmes à cause de leur beauté et du préjugé répandu chez les Turcs que leur contact seul peut rendre la santé à un vieillard. Pendant le triste séjour de M. Arnoux à Zeila, la réserve d’Abou-Bakr s’élevait à plus de six mille esclaves cantonnés tant dans cette ville que dans le voisinage, à Tedjourrah. Eh ! ne faut-il pas à l’Égypte des soldats noirs pour combler sans cesse les vides de son armée ? Ne faut-il pas aux musulmans des femmes et des eunuques pour leurs harems ? Chacun d’eux peut avoir autant d’esclaves qu’il veut, « tout ce dont ta main droite a pu se mettre en possession, » dit le Coran à cet égard ; l’esclavage est proprement la base de leur religion et de leur société. Comment croire alors qu’ils s’emploieront à l’abolir ? Tout progrès fait par les musulmans sur la terre d’Afrique est bien moins un pas en avant dans la voie civilisatrice qu’un nouvel essor donné à la barbarie. Pour détruire la traite en Orient, il faut plus que des traités et des conventions, dont l’application est trop souvent dérisoire, il faut un contrôle effectif, la présence d’agens sérieux, une surveillance infatigable et incorruptible. L’établissement d’une station à Obock, se reliant au Choa, peut rendre dans ce sens de réels services ; sans doute on ne coupera pas court du premier coup à l’ignoble commerce, mais on le rendra bien plus difficile ; avec l’aide du roi Minylik, les trafiquans musulmans, tenus de près, seront forcés de changer d’allures ou de vider le pays. Ce ne sera pas la moindre gloire pour M. Arnoux d’avoir travaillé à ce résultat.


L. LOUIS-LANDE.