Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/42

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Quelques-uns de ces beys demeurent encore dans les grandes fermes dont j’ai parlé. En dehors des tribus circassiennes récemment dirigées sur la Thessalie et qu’on peut considérer comme un élément purement nomade, tous les travailleurs de la plaine sont Grecs. Leur nombre n’est pas en rapport avec les ressources du pays ; leur condition est assez misérable, leur niveau ravalé par les effets plus directs de la servitude. Au contraire, sur les versans fertiles du Pélion et de l’Ossa, dans les plantations de vignes, de mûriers, de vergers, la population est dense, relativement aisée, d’un niveau moral et intellectuel qu’on ne saurait trop vanter ; elle n’a aucun contact avec la race dominante ; des qualités aimables et laborieuses que j’ai rarement rencontrées à ce degré, même dans la Grèce affranchie, désignent cette population comme le nerf véritable du pays, comme le noyau de la génération future, le jour où les conditions politiques lui permettront de descendre vivifier la plaine, qu’elle fuit actuellement.

Si, de l’état ethnographique de la contrée, on passe à l’examen de sa situation matérielle, on trouve celle-ci peu en rapport avec les ressources latentes de cette belle terre. Par sa fertilité, ses eaux abondantes, ses débouchés maritimes, la Thessalie méridionale est appelée à redevenir ce qu’elle a été jadis, le marché des provinces avoisinantes. Quelques travaux urgens lui rendraient cette situation privilégiée : le dessèchement des marais, en doublant la production du sol, ferait disparaître les maladies qui le rendent inhabitable une partie de l’année ; le creusement du port de Volo assainirait également cette ville en lui ramenant les gros navires qui s’en détournent ; un chemin de fer, d’établissement peu coûteux, qui relierait ce port au cours supérieur du Salamvrias, porterait la vie et la richesse dans toute la vallée ; il pourrait se rattacher plus tard à la ligne que le gouvernement hellénique construit d’Athènes à Lamia. Enfin rien ne sera fait tant qu’on n’aura pas détruit la lèpre du brigandage, qui ôte toute sécurité et toute initiative aux meilleurs élémens de ce pays.

A la suite de ces considérations, une question se pose naturellement : Peut-on attendre ces réformes de l’administration actuelle ? — La réponse est délicate, On peut du moins affirmer que les maîtres du sol, avec la finesse d’intuition et la résignation fataliste qui sont les traits distinctifs de leur race, ne luttent que faiblement sur ce point extrême pour retenir un domaine qu’ils voient leur échapper. Ils se sentent visiblement envahis, diminués, isolés de leurs racines et de leurs centres de force ; ce membre éloigné du grand corps ne reçoit plus du tronc qu’une sève insuffisante ; en revanche, il lui en renvoie peut-être trop. Il est permis de prévoir le jour où, à la suite de quelque ébranlement nouveau, ce coin de