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Page:Revue des Deux Mondes - 1879 - tome 31.djvu/434

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conditions d’un combat naval de celles d’un combat de terre, où le soldat romain retrouvait sa supériorité ordinaire.

C’est surtout grâce à cette invention, que les Carthaginois ne paraissent pas avoir imitée, que les Romains, malgré bien des échecs partiels dus à l’impéritie ou à la témérité de leurs chefs, remportèrent des victoires navales signalées sur leurs adversaires trop confians ; mais les ressources maritimes de Carthage semblaient inépuisables ; à peine une flotte était-elle détruite qu’une autre la remplaçait. Bien que Rome pût aussi, à force de sacrifices et de patriotisme, remplacer ses vaisseaux et ses équipages perdus, il était à craindre que la guerre ainsi conduite ne s’éternisât et qu’à la longue la victoire finale ne restât à la cité la plus riche en arméniens maritimes. C’est pourquoi, se rappelant l’exemple légué par Agathoclès, les Romains voulurent transporter la guerre en Afrique même. Ce fut une véritable armada. La flotte romaine qui partit de Messine en 256 comptait trois cent vingt vaisseaux, portant l’armée de débarquement. Les Carthaginois voulurent lui barrer le passage avec une flotte plus nombreuse encore. Polybe assigne à chaque vaisseau une moyenne de 300 rameurs et de 120 combattans. Il faut donc admettre que près de 300,000 hommes se rencontrèrent au large d’Ecnomus, où la fortune de la guerre se décida en faveur des Romains. Jamais, dans les temps modernes, de pareilles masses ne se sont rencontrées sur mer. La flotte carthaginoise, coupée par l’habile stratégie des Romains, fut à peu près anéantie, et les vainqueurs, conduits par leurs consuls Manlius et Régulus, débarquèrent en Afrique, non loin du cap Herméen, près d’une ville qu’ils appelèrent Clypea, parce qu’elle était bâtie sur une éminence en forme de bouclier.

Carthage, surprise, moralement abattue par le désastre de sa flotte, ne songea pas même à s’opposer au débarquement. Il semble que les riches campagnes, au sein desquelles les Romains s’enfoncèrent, les retinrent plus qu’il n’aurait fallu. Ils auraient probablement emporté Carthage en marchant droit sur elle. Ils aimèrent mieux mettre à contribution les innombrables villes et villages du pays, et même, tel était l’excès de leur confiance, l’un des consuls, Manlius, reçut l’ordre de revenir à Rome avec une partie de l’armée et de laisser Régulus achever seul la grande expédition.

Régulus, en avançant lentement sous les murs de Carthage, remporta encore de brillans succès et crut pouvoir tout terminer d’un coup. Il offrit à Carthage démoralisée une paix tellement exorbitante que le sénat carthaginois retrouva de l’énergie pour la repousser avec indignation. Au même instant arrivait à Carthage le Lacédémonien Xantippe, officier de fortune très expérimenté, qui se fit